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Urbexologie : témoignage de ces lieux qui meurent

La pratique est en recrudescence. Partout ou la ville se meurt, où des territoires urbains glissent dans l’oubli et se désagrègent, partout où la vie de la « cité » a déserté et où les murs pourrissent, des hommes et des femmes s’aventurent, exhumant le passé de lieux sacrifiés ou simplement délaissés par ceux qui autrefois y vivaient, ou y travaillaient. On pourrait appeler ça de l’urbexologie (d’urbex pour exploration urbaine) tant la pratique recouvre des formes, des motivations (recherches historiques, esthétique, artistique, etc.) ou des lieux d’exercice différents.

Témoins du temps qui passe sur la ville

Un garage figé dans les années 70, une maison abandonnée dans laquelle tout semble à sa place, un souterrain, un ancien hôpital ou encore un sanatorium… Pour les convertis, l’urbex est d’abord une passion. Peu importe ensuite ce qu’ils viennent chercher dans les décombres de la ville qui se recycle. Qu’ils portent un intérêt historique, plastique, ou simplement une forme de curiosité pour les lieux qu’ils visitent, l’état d’esprit des adeptes de l’exploration urbaine est le même pour tous comme le rappelait récemment un « urbexeur » de Strasbourg dans Rue89 :

On fait très attention à ne pas causer de dégradations dans les lieux que l’on visite. […] Du point de vue de notre pratique, les différentes  formes de vandalisme sont gênantes pour nos photos.

Les urbexeurs donnent souvent des noms aux lieux qu'ils visitent. Ici, la Maison Kirsh. @Urbex.me

Les urbexeurs donnent souvent des noms aux lieux qu’ils visitent. Ici, la Maison Kirsh. @Urbex.me

Un brin élitiste, parce que les urbexeurs ne donnent pas leurs bonnes adresses à tout le monde, la discipline offre un regard atypique sur les morceaux de ville qui passent sous silence du vacarme et de l’agitation, à la manière d’urbanités parallèles.

Témoins du temps qui passe sur la ville et de son œuvre implacable sur ce qui ne colle plus réellement à une époque, les explorateurs urbains immortalisent et font de ces lieux oubliés, des objets artistiques, emprunts d’une atmosphère particulière, en même temps qu’ils leur accordent une seconde vie.

Témoins aussi de ses  ruptures

En France, les crises industrielles successives, puis  l’exode urbain de ces dernières années,  ont laissé de nombreux biens de centres-villes à l’abandon, comme autant de lieux d’expression à la pratique de l’urbex. Des maisons de maîtres (comme celle « du Directeur » à Toulouse ), de simples appartements ou des friches industrielles témoignent alors dans leur exploration d’une autre époque et invitent inévitablement l’imaginaire à travailler. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien qu’on retrouve un peu de fantastique dans le rendu des photos de ces explorateurs modernes.

Par endroit, se sont  des quartiers entiers comme celui du Vieux Pays à Goussainville (situé sous les pistes de Roissy), ou l’ancien site de l’Union  à Tourcoing qui attendent au détour, les amateurs de ces « villes parallèle ».

Un ancien magasin sur la commune de Goussainville (@JP Deleeck)

Symptomatique par les lieux qu’elle pratique, d’une époque qui passe, d’une rupture qui s’opère, la discipline pourrait bien évoluer, migrer vers d’autres territoires de la ville, passer de ses friches industrielles et de ses centres anciens délaissés, à ces espaces, futurs victimes d’un monde qui vient.

A Détroit, la ville stigmate de la crise des subprimes et des délocalisations, la pratique a depuis quelques années évoluée et connue une croissance phénoménale dans les ruines des suburbs abandonnées par leurs habitants. Entre les parcelles en friche, et les potagers de l’agriculture urbaine, des maisons par centaines, parfois éventrées ou brûlées, deviennent des terrains de jeu et d’exploration pour quelques « urbexophiles » en mal de ville déliquescente.

Une rangée de maisons abandonnées sur Robinwood Street à Détroit (@Detroiturbex.com)

Par petits groupes, on vient constater la fin sans doute relative d’une époque, quand des gens vivaient encore ici, qu’ils travaillaient et entretenaient leur maison. C’était hier, pourtant aujourd’hui, à regarder le pourrissement qui gagne les tapisseries de ces reliques d’un autre âge,  tout ça semble vraiment loin.

Le périurbain : futur territoire de l’urbex ?

Et si la France suivait le même chemin ? Les territoires de la ville pavillonnaire pourraient bien devenir alors, à l’image des suburbs de Détroit, les lieux de cette pratique largement circonscrite pour l’heure, aux artéfacts de la ville industrielle.

Bien loin du contexte américain des banlieues résidentielles, les débats sur le pavillonnaire en France interrogent de plus en plus fréquemment, et de façon assez virulente, son devenir. Qu’adviendra t-il de ces lieux dans 10, 20 ou 50 ans? Qu’arrivera-t-il à ces banlieues, à cet archétype d’un certain modèle urbain, consommateur d’espaces et de rêves, lorsque la crise énergétique sera passée sur elles? Pour ses détracteurs, il ne fait aucun doute que les banlieues pavillonnaires seront les territoires les plus socialement et économiquement impactés par les changements à venir de notre monde. Une hypothèse souvent avancée au regard de leur situation de dépendance vis-à-vis des « centres » d’abord (mécanique), mais aussi et surtout de leur composition sociale.

On imagine très bien dés lors, l’exode d’une partie de leurs habitants, incapables de soutenir financièrement leurs trajets vers ces « centres », ou la chute de la valeur de leur bien, et l’abandon progressif de certains espaces trop éloignés des secteurs d’emplois ou d’accès aux services. On imagine aussi comment l’urbex investirait alors les traces d’une époque, comme elle investit aujourd’hui les résidus de choses que l’on pensait à tort, imperturbables dans leur croissance.  Une époque pas si lointaine qui aura vu un modèle économique construire ces territoires à coups de pression foncière, d’automobile, puis la classe moyenne d’une société oubliée, en disposer.

Comme on croyait les industries synonymes de progrès et de pérennité, comme on voyait les centres-villes et leurs demeures immuables, l’urbex est aussi là pour nous rappeler que la ville meurt par endroit, qu’elle renaît ailleurs, mais que rien d’elle en tout cas, ne saurait rester immobile.

Catégorie:Vintage
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L'auteur
Josselin Thonnelier

Diplômé de l'Institut d'Urbanisme de Grenoble en Urbanisme et Projet Urbain, de l'Université de Poitiers et de Moncton (Canada) en Géographie et Sciences Politiques.

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