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Tendance : Babylone

Depuis la Génèse et la Tour de Babel à Babylone, les objectifs des concepteurs de constructions verticales sont quasiment les mêmes, du moins l’image forte véhiculée est identique. « Construisons une ville avec une tour dont le sommet soit dans les cieux. » Evidemment, la tour infinie restera inachevée, mais l’idée de traverser les cieux est clairement reprise par les architectes contemporains concevant sans vergogne ni soucis économiques, des tours allant jusqu’à 4000 m de haut ! Essaye-t-il d’y placer l’humanité toute entière ?

Expériences urbaines

L’Ecole de Chicago, à la fin du XIXe siècle, engendre une sorte de laboratoire social qui permet d’observer et d’étudier les expériences menées dans différents milieux urbains. Ces transformations urbaines sont en grande partie véhiculées par le phénomène de superposition verticale et les premières tours, ou skyscraper, voient donc le jour à Chicago. S’en suit l’incroyable épopée de « qui aura la plus grosse » où la grande majorité des pays rêve de se doter d’une jolie tour et de vivre le rêve américain, à leur tour.

Globalisée et standardisée au modèle américain, la tour est devenue quasi-instinctivement le symbole du pouvoir économique et de compétitivité. Parallèlement, la science et les techniques innovantes se développent de façon accélérée afin de dépasser les limites du concevable, cherchant à impressionner et établir de nouveaux record. Tous sont nés d’expériences urbaines. Plus tard, le phénomène touche les villes orientales, l’occasion pour elles de prouver leur capacité à s’adapter, voire de surpasser le monde occidental.

Les imaginaires de la « ville-tour » représentent la matière première utilisée dans le laboratoire des expériences verticales et permettent des avancées significatives pour des constructions futures, moins loufoques et surtout moins élevées. Déjà en 1959, Frank Lloyd Wright dessinait la Mile High Tower Illinois (1609 m, 528 étages). L’actuelle Burj Khalifa de Dubaï s’est très largement inspirée des dessins de F.L. Wright. Plus tard au Japon, les études menées en 1994 sur le spectaculaire projet de X Seed 4000 par Tasei, puis de la TRY Pyramid 2004, proposent de véritables métropoles verticales !

Les conceptions verticales sont le résultat de plusieurs expériences sérielles, réalisées dans un premier temps dans le laboratoire américain de Chicago et New York, puis dans celui du Japon, de la Chine et des Emirats Arabes Unis.

« Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet pénètre les cieux ! » (Gen. 11, 4.)

Au fond, c’est comment de vivre dans la ville verticale ?

Bionic Tower

En France, les tours de logement les plus hautes avoisinent les 100 mètres de hauteur. Une telle hauteur équivaut à une trentaine d’étages, soit un total de 800 à 1000 habitants. On est donc bien en dessous des projets de tour-villes comme la Bionic Tower, des architectes espagnols Eloy Celaya Escribano, María Rosa Cervera Sardá et Javier Gómez Pioz. Du haut de ces 1200 mètres et quelques 300 étages, celle-ci pourra accueillir jusqu’à 100.000 habitants ! Ainsi, intéressons-nous au style de vie à adopter dans une tour d’une hauteur de 800 à 1400 m. Comment y habiter, travailler, s’y divertir, s’y déplacer ?

Dans son livre, La folie des hauteurs – Pourquoi s’obstiner à construire des tours ?, l’excellent Thierry Paquot dénonce l’absence d’études sur les maladies professionnelles des employés de bureaux, à savoir le « sick building syndrome« . Peu connu en France, mais bel et bien existant, il se traduit par des sentiments de vertiges, de claustrophobie et maladies vasculaires. Il semblerait que le corps amortisse mal les décollages et atterrissages successifs induits par les ascenseurs ultra rapide. A cela, s’ajoute un séjour dans un environnement entièrement artificiel avec air conditionné et chauffage au sol, impossibilité d’ouvrir les fenêtres pour aérer.

Et oui, « l’Etre humain est avant tout un Terrien », continue T. Paquot. Notion trop souvent oubliée dans la conception de tour et pourtant essentielle aux bonnes conditions de vie de ces terriens que nous sommes : « [l’homme] a besoin de contact, non seulement au sol, à la terre mais aussi aux élément. A l’exception de l’Empire State Building, les derniers étages d’une tour qui offrent des vues panoramiques sont fermés. Viennent s’y greffer la protection antiterroriste et les dispositifs policiers qui confortent le confinement de la tour, en faisant un lieu où l’on ne peut rentrer que si l’on est badgés. »

Puis, le danger de ghettoïsation et de corrélation au sein de la ville verticale, ou la tour-ville, avec les gated communities, est à considérer. Celles-ci vont à l’encontre d’une conception de la ville du partage, accessible à tous et qui ne discrimine pas selon des critères de revenus ou socio-culturels comme la religion, l’âge ou la pratique sexuelle : « Qu’on me prive de pouvoir circuler, via des tours ou des rues résidentielles privées protégées par des vigiles [ou des grilles], c’est une négation de l’idéal que j’aie de la ville, dévoile-t-il. Je pense que la grande force de la ville que Baudelaire a si bien poétisée, c’est précisément cette possibilité de s’y sentir chez soi, de pouvoir entrer dehors. »

Habiter rural, cultiver urbain

Vertical Farm

Peut-être qu’il serait temps de commencer une nouvelle expérience. Les vertus de la tour ne sont peut-être pas exploitées à bon escient. L’homme ne peux apparemment pas vivre de façon vertical, il a besoin de se rapport vital au sol. Et si on inversait nos champs par nos villes ? Autrement dis, est-il possible de renverser totalement la situation de l’homme, où il ne vit et ne travaille plus en ville mais à la campagne, et récoltes ses fruits et légumes en ville au sein de fermes verticales et maraîchers verticaux. En 2050, 70 % des 9,1 milliards d’habitants de la planète seront urbains ! Plus de places pour les traditionnels champs de récoltes etc. Une part de la solution est peut-être là.

Voir l’excellent article paru dans The Economist cette semaine, intitulé : « Vertical Farming, does it really stack up ? » sur les fermes verticales avec l’interview en vidéo du Dr Despommier, expert dans ce domaine. Celui-ci est persuadé que la ville n’est que le parasite de la nature et que tôt ou tard il faudra bien se décider à proposer un développement écosystémique, à l’image d’un métabolisme urbain, déjà évoqué le mois dernier dans urbanews, ici.

Et vous, qu’en pensez-vous ? La ville durable doit-elle forcément être dense ? Doit-on changer complètement notre relation avec la nature et adopté un développement écosystémique tel un métabolisme urbain ? Vaut-il le coût de réaliser une telle expérience ?

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L'auteur
Bruno Morleo

Rédacteur et associé / Diplômé en Master Génie Urbain, spécialité développement urbain durable - Chargé de mission Développement Durable au sein d'une collectivité territoriale.

9 Commentaires

  • 15 décembre 2010 à 23:10

    Complément littéraire : un classique de la SF, « Les monades urbaines » de Robert Silverberg :

    « La planète Terre en l’an 2381 : la population humaine compte désormais plus de 75 milliards d’individus, entassés dans de gigantesques immeubles de plusieurs milliers d’étages. Dans ces monades, véritables villes verticales entièrement autosuffisantes, tout est recyclé, rien ne manque. Seule la nourriture vient de l’extérieur. Ainsi, l’humanité a trouvé le bonheur. »

    http://www.amazon.fr/Monades-urbaines-Robert-Silverberg/dp/2253072257

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    • 16 décembre 2010 à 02:53
      Bruno Morleo

      J’adore me souvenir cette citation du film Big Fish de Tim Burton : « un homme raconte si souvent ses histoires, qu’il ne fait plus qu’un avec elles, et lui survivent… et ainsi, il devient immortel.  » (Big Fish, Tim Burton)

      Alors allons-y, comme tu le fais si bien Philippe, continuons à nous raconter des histoires, la science-fiction ne cessera jamais d’alimenter nos imaginaires urbains.

      En se racontant ce qui n’est pas on se rend compte de ce qui est et de comment il pourrait être. Continuons de raconter nos contes à nos enfants, nos histoires drôles ou d’horreurs à nos proches, cela ne feront qu’alimenter nos imaginaires sans pour autant perdre le sens des réalités.

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  • 16 décembre 2010 à 14:29

    Philippe, à force que tu nous parles des monades je vais bien finir par le lire ce livre 🙂

    A noter aussi « les cavernes d’acier » d’Asimov qui traite aussi de la question de l’hyper-densité en faisant se dérouler l’action du livre dans une humanité enfermée (autant par les murs que par la « peur du vide ») dans de vastes villes souterraines.
    Ce bon vieil Isaac aimait bien développer des profils de « pire choix urbain possible » dans ses livres, si je trouvais le temps je ferais bien un billet là dessus !

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  • 16 décembre 2010 à 17:11
    Pierre Mallet

    Ce que je ne comprends pas ce que dans ce débat sur la ville en hauteur, on ne parle jamais des personnes qui ont le vertige. Or elles sont nombreuses je pense et elles seront d’office exclues de cette nouvelle forme de ville.

    Comment faire pour accepter un travail quand le bureau est au 50è étage d’une tour alors que le mal être commence à partir du 6è étage. Pareil pour le logement ou les loisirs

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    • 17 décembre 2010 à 11:15

      Très bonne remarque, il en va du vertige, comme des angoisses, des handicaps ; la « faiblesse » (et j’insiste sur les guillemets) est très peu prise en compte dans les projets urbains monumentaux, souvent symboliques de puissance. A quand un projet à 1 milliard dédié aux délaissés ?

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  • 26 décembre 2010 à 20:22

    Flatteurs 😉

    Il y a une autre problématique qui mériterait à mon sens d’être explorée : la croissance continue du temps passé dans les ascenseurs, qui devient un temps de mobilité à part entière quand il s’agit de monter 92 étages ^^

    Peut-on (devrait-on ?) imaginer de nouvelles « urbanités » propres à ce temps de déplacement ?

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  • 27 décembre 2010 à 14:00

    Plutôt que de penser à ce dont nous aurions besoin dans 20 ou 30 ans, on pourrait se demander l’inverse. De quoi pourrions-nous nous passer ? Quelles maladies seront définitivement éradiquées ?

    Nous savons déjà qu’il existe des méthodes très efficaces pour rendre la vue aux aveugles, dans 30 ans : plus d’aveugles ! Alors pourquoi pas le vertige, les maladies cardio-vasculaires ou toutes autres maladies liées aux mauvaises réactions du corps induites par les ascenseurs ultra-rapide ?

    Et oui, dans un monde où la tour de 100 étages et ses ascenseurs ultra-rapides seront devenues une nécessité, la tendance Babylone sera numérique ou ne sera pas.
    Sommes-nous prêt à accepter un job ou un logement au 92e étage si l’ascenseur nous permet une interaction numérique et progressive suivant les étages ? Qu’en est-il si celui-ci tombe en panne, ou si le système numérique d’interaction ne fonctionne plus ? Le retour du vertige ? Ou tout simplement, le retour du bouquin et de l’iPod dans les moyens de locomotion, et basta !

    Qu’en pensez-vous ?

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  • 16 janvier 2011 à 20:07
    Un Visiteur

    Bonsoir à tous,

    Sur le même sujet on peut mentionner le travail de Serge salat,ingénieur architecte et chercheur de son état.

    Ses travaux sur la morphologie urbaine tendent à comparer différents types de tissus urbains suivant différents critères (intensité urbaine, apports lumineux, efficacité énergétique, densité…).

    Le constat établi est largement en défaveur de l’urbanisme vertical : assimilé à des culs-de-sacs, ils sont également peu performants en terme d’efficacité énergétique et d’apport lumineux. Enfin, contrairement aux idées reçues, même la densité n’est pas assurée dès lors qu’on considère qu’il faut garder un espace suffisant entre deux tours pour laisser pénétrer la lumière.

    A titre de d’exemple, le plan voisin cher au Corbusier et proposant une optimisation de l’urbanisme des tours est bien moins dense que le tissu Haussmanien qu’il était sensé remplacé.

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