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Naypyidaw, nouvelle capitale birmane entre urbanisme de la démesure et de la paranoïa

Lundi 16 janvier, à l’occasion de la visite d’Alain Juppé, les autorités birmanes ont dévoilé à quelques journalistes français les dessous de la nouvelle capitale politique et militaire du pays. Une ville restée depuis 2005, date de sa naissance officielle,  territoire banni des occidentaux et des birmans eux-mêmes. Une ville qui cache derrière son urbanisme, bien plus que ce qu’elle veut finalement nous laisser voir…

Une capitale  fantôme en apparence

Erigée en pleine jungle, à un endroit semblable au point de gravité du pays et de ses frontières administratives, la ville nouvelle de Naypyidaw, capitale officielle de la république du Myanmar, n’est pas sans rappeler la Brasilia de Niemeyer en son temps.  Au cœur de la ville, sur des avenues immenses à dix ou douze voies, aussi larges que des autoroutes californiennes, une voiture seule annonce déjà le train de la vie urbaine ; inexistante, en tout cas en apparence.

Une avenue vide de la capitale (Saul Loeb / AFP)

Impossible en parcourant les rues, précisent certains journalistes, de ne pas être frappé par l’absence de vie et le vide de la nouvelle capitale qui revendique pourtant 300 000 habitants. Comme dans une mauvaise plaquette d’urbanisme, les espaces de la ville paraissent flotter au seuil d’un monde irréel, désincarné de toute humanité et de toutes vies. Dans le centre-ville, un ensemble de bâtiments  à peine achevés institue le point névralgique de la cité offerte à ses habitants : des restaurants que l’on compte sur les doigts des deux mains et le stricte nécessaire de magasins.

Pour se déplacer dans la ville au territoire grand comme 40 fois celui de Paris , il ne faut pas compter sur ses jambes, encore moins sur le service de transports en commun pour l’heure inexistant. Seul le taxi ou la voiture particulière ont leur place dans une capitale à demi achevée, ou les habitations et les lieux de travail ne disposent toujours pas, pour certains, de commodités ou d’accès à l’eau.

Naypyidaw n’est pas une ville, au mieux  un territoire garnison, un immense camp de travailleurs étrangers et d’officiels du régime birman. Aux rares terrasses des restaurants que compte le centre, des fonctionnaires reconnaissables à leur jupe traditionnelle, des hommes pour la plupart, vivent sur la capitale la semaine et retournent dans leur famille restée à Rangoun, pour le week-end.

Ailleurs, aux franges de la ville, sur les chantiers et les friches, complexes hôteliers en devenir, une autre race de travailleurs s’affère. Avec les fonctionnaires, les ouvriers venus par milliers de l’Arakan (région frontalière du Bangladesh minée pas la pauvreté) pour construire la capitale, représentent le gros des habitants donnant à l’endroit des airs de  territoire unisexe.

Naypyidaw ou l’urbanisme de la paranoïa

Au-delà de sa simple existence physique et du prétexte à sa création de la nécessité pour le pays de renouer avec sa centralité géographique, la capitale demeure  à l’image d’une forteresse pensée par la junte, un territoire rationnalisé et organisé pour se prémunir aussi bien des agressions militaires extérieures au pays, que des troubles intérieurs et de la guerre civile. Son site perdu au milieu de nulle part, enserré de montagnes, loin des axes stratégiques et surtout de l’océan en fait un terrain parfait de défense, encore mieux, un lieu idéal pour l’exercice de la répression si jamais cette dernière venait à devoir être exercée.

Tout au sein de la capitale a été pensé pour éviter justement un épisode de répression et limiter les possibilités de révoltes internes. La démesure du territoire  et sa très faible densité estimée à 22 habitants/km² constituent en l’état non seulement un premier rempart contre l’insurrection sinon contre sa structuration et son organisation, mais également un préalable à son traitement rapide et au rétablissement de l’ordre par le pouvoir. L’hyper présence des axes routiers (la dépendance qu’ils confèrent à la voiture), et surtout leur taille (2X8 voies sans séparateurs pour certains) vont dans le même sens, offrant au régime un fusible supplémentaire dans la maîtrise et le contrôle des masses en cas de manifestations par exemple.

Rapport de taille et de densité de Naypyidaw (Illustration Jérôme Gonçalvès, avec Antoine Errasti)

Pour rationnaliser au mieux et se prémunir de tout débordement, la capitale dispose d’une organisation spatiale quasi militaire. Découpée en vastes zones tenues chacune à l’écart de l’autre par des espaces tampons, Naypyidaw ressemble d’avantage à un camp de Marines qu’à une cité nouvelle garante du « mieux vivre ensemble » ou de la mixité fonctionnelle et sociale. Alors que les populations se concentrent majoritairement aux franges  sud et nord pour l’habitat ouvrier, ouest pour les résidences de fonctionnaires déclinées par ministères et par couleurs, les sièges des différentes administrations  situés au nord, étalent leur mimétisme architectural sur plusieurs dizaines de kilomètres carrés.

Organisation socio-spatiale de la ville ((Illustration Jérôme Gonçalvès, avec Antoine Errasti)

Autant d’éléments de l’urbanisme finalement peu relayés par la presse en visite ce lundi et qui interrogent pourtant sur le poids d’un régime encore omniprésent et totalitaire, loin, bien loin des promesses de démocratie et d’élections futures prévues pour le mois d’avril.

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L'auteur
Josselin Thonnelier

Diplômé de l'Institut d'Urbanisme de Grenoble en Urbanisme et Projet Urbain, de l'Université de Poitiers et de Moncton (Canada) en Géographie et Sciences Politiques.

1 Discussion

  • 18 janvier 2012 à 10:03
    Tuxtux

    Un détail, mais le quartier militaire semble avoir un deuxième point d’accès, par le « nord »..

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