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Growth is dead + éloge d’une décroissance urbaine

Les autistes de la croissance

Incapables pour certains, de faire l’économie des trente glorieuses, les pouvoirs publics tout comme une large partie de la société larguée par la « stratosphérisation » du capitalisme financier, s’enferment dans la persistance mémorielle d’une croissance passée. Lovées dans leurs aspirations, parfois dans leurs souvenirs tenaces (vécus ou entrevus au détour d’un manuel de géographie), ceux d’une industrie féroce et d’un PIB prospère qu’ils n’ont depuis lors jamais retrouvé, les politiques et les acteurs du territoire n’en finissent plus de miser sur une croissance invisible, sinon à peine perceptible. Malgré les effets sensibles et régionaux de la crise, et les prévisions d’une croissance apathique (à peine plus de 1,5% pour 2011 selon le FMI), de nombreux territoires structurellement faibles continuent de bluffer la réalité. En pariant sur le « toujours plus » et le développement urbain forcé de zones économiques et d’habitations, certaines collectivités semblent ne pas saisir l’importance du développement de nouvelles formes de planification soluble dans les enjeux de la décroissance (…ou de la faible croissance). Car c’est bien aujourd’hui avec une forme de décroissance, sinon de repli naturel de la croissance, que l’urbaniste (l’aménageur) doit concilier et faire le territoire.

Casser les schémas  de pensée existants

Arrêter de penser en termes de croissance, notamment dans le cadre de projets territoriaux paraît relever de l’absurde. Parce que l’aménagement du territoire partage certainement trop de substances avec les grandes théories économiques (pensez à Christaller et à sa théorie des lieux centraux), la simple évocation du déclin territorial apparaît souvent et quasi mécaniquement (réflexe pavlovien oblige) comme le symptôme d’un échec systémique aux yeux des politiques et des professionnels de l’aménagement. Pourtant, dans certaines régions ou tous les indicateurs économiques, démographiques ou encore sociaux regardent vers le bas, penser, organiser et accompagner le processus de déclin semble plus  pertinent que de le nier ou bien que de l’occulter par d’improbables objectifs de développement, sans doute jamais facteurs endogènes d’enrichissement.

Pour beaucoup d’entre nous, (apprentis) urbanistes, l’idée même de projet sous tend celle de catalyseur de croissance, lorsqu’elle ne symbolise pas simplement, la croissance dans son plus simple appareil. Difficile dans ce cas, d’envisager que le projet puisse être conçu comme une démarche possible à la maîtrise ou à l’accompagnement d’une éventuelle déprise territoriale. Un changement de regard sur la décroissance, notamment dans le domaine de l’urbanisme, s’impose probablement à nous dans le cadre d’un futur plus incertain.

 

Il ne s’agit donc plus de gommer les phénomènes de décroissance urbaine par d’autres projets, ailleurs ou sur site déprécié (inutiles et coûteux), mais bien plutôt de prendre partie pour une décroissance constructive elle-même factrice de projets. Pour Marcus Zepf, (professeur que j’ai eu l’occasion de suivre durant ma première année à l’Institut d’urbanisme de Grenoble) qui s’est intéressé à la question des villes rétrécissantes en Allemagne de l’Est, la décroissance ne constitue pas une fin fatale en soi, mais plutôt un moyen de re-questionner le territoire et ses potentiels existants, notamment en termes de qualité de vie, plus que de performance économique. Les territoires de la décroissance sont peut être l’occasion de penser une nouvelle forme d’urbanisme et d’organisation socio-spatiale, plus durable. Privilégiant bien souvent les relations économiques régionales et locales, ces territoires sont par exemple, de véritables incubateurs pour une forme plus affirmée d’économie et de réseaux de distributions locaux (le fameux retour à la notion de « localisme »).

L’urbaniste crédible, futur objecteur de croissance?

L’urbaniste, pourvu que l’on veuille bien lui donner, a certainement un rôle charnière à jouer dans la maîtrise de ces territoires. L’extension à outrance des zones urbanisées, la multiplication des projets ex-nihilo de lotissements pilotes ou de zones économiques périphériques « vitrines » (dans de petites et moyennes communes rurales notamment), loin de résoudre la déprise, la conforte trop souvent. Penser le territoire en décroissance sous l’angle du projet nouveau c’est, de fait, conforter la sous utilisation et le déficit d’usage des structures déjà présentes. Si le processus de « refaire la ville sur la ville » est déjà engagé depuis un certain temps au sein des agglomérations, force est de constater que le mouvement a du mal à prendre dans les petites et moyennes communes rurales en difficulté.  

Plutôt que de financer une hypothétique croissance à force de projets d’extension urbaine, pourquoi ne pas financer la décroissance et les aménités, non seulement sociales mais également environnementales dont elle pourrait accoucher ?  Penser plus souvent la réaffectation ou la réversibilité de bâtiments, d’infrastructures en situation de surcapacité, les améliorations immatérielles de la qualité de vie et l’accompagnement des hommes plutôt que de l’économie, devraient ainsi constituer des priorités pour les politiques et les aménageurs des territoires en décroissance.

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L'auteur
Josselin Thonnelier

Diplômé de l'Institut d'Urbanisme de Grenoble en Urbanisme et Projet Urbain, de l'Université de Poitiers et de Moncton (Canada) en Géographie et Sciences Politiques.

2 Commentaires

  • 7 février 2011 à 15:57

    Je suis toujours frappé de lire, sous la plume d’urbanistes (ou apprentis, comme il est dit dans l’article), le mot « décroissance ».
    Outre qu’il sonnerait creux et presque comme une injure à Lagos ou à Djakarta,outre qu’il élude le constat selon lequel la crise est le mode de fonctionnement normal de tout système économique, c’est faire abstraction de la double réalité démographique, celle du vieillissement dans les pays anciennement développés et de l’explosion démographique de la jeunesse dans les pays émergents, et territoriale, celle de la métropolisation.

    Sauf à devenir malthusien, protectionniste, nationaliste, etc, avec les risques de conflit qui en découlent, il faut de la croissance aux hommes du XXIe sècle surtout si, comme le soutiennent certaines prévisions, la population mondiale atteint 9 milliards en 2050… c’est à dire près de 30% de plus qu’aujourd’hui.
    Des champs et des usines et des logements, oui, par millions et par centaines de km2, ou plus de la productivité, oui, et du travail, oui… car le DD ne doit être ni le privilège, ni la bonne conscience de peuples (ex)riches, ni l’arme de guerre des autres peuples.

    La décroissance et la croissance sont relatives à des sociétés, à des territoires et surtout aux relations d’échange existant entre ces espaces. Refaire la ville sur la ville n’est pas une idée neuve, elle est même aussi ancienne que la ville elle-même, qui est – parce qu’elle est humaine – en mutation permanente, dans un processus constant de construction-déconstruction-reconstruction. La refaire soutenable – plutôt que « durable », ce qui ne veut rien dire – est implicite, puisqu’on n’agit au présent qu’en fonction d’un référentiel actuel d’idées, de règles et de techniques. La Chine en donne la preuve, dont les villes et les usines intègrent – ipso facto – l’objectif d’une moindre empreinte carbone, tout comme l’Afrique, passée en moins de 10 ans du taxi-brousse à Internet.

    L’archéologie montre que les civilisations sont mortelles et l’histoire économique nous apprend que des territoires aujourd’hui riches et puissants peuvent redevenir pauvres et fragiles.
    La seule vraie question qui se pose est celle du modèle écononomique de répartittion équitable de la richesse, socialement et territorialement. Le capitalisme cognitif est une voie possible, la « transition » en est une autre, sans exclusive d’ailleurs, l’objectif n’étant pas de construire un modèle économique de croissance soutenable unique mais une floraison de modèles différenciés par les lieux et les usages, en réformant d’abord la gouvernance (le bottom up), les procédures administratives et le droit foncier.

    Ceci étant, nous serions intéressés par la publication d’un article de J. Thonnelier dans l’un des Workshops d’ITeM info.

    Cordialement,

    Yves Schwarzbach
    Directeur
    ITeM info
    http://www.itemnews.unblog.fr

    RÉPONDRE
  • 8 février 2011 à 12:29

    Merci beaucoup pour ces quelques éléments qui relativisent un point de vue et des propos largement subjectifs.

    Le terme de décroissance est chargé de sens et agrège, tout comme l’idée de développement durable, tout un tas de lieux communs et de poncifs théoriques auxquels il importe de ne pas succomber. Difficile, souvent, d’envisager la complexité dans le temps et dans l’espace de telles notions, comme vous le rappelez!

    Je serai par ailleurs heureux de pouvoir enrichir le débat autour des questions que vous soulevez dans le cadre de vos workshops.

    Cordialement
    et à bientôt

    RÉPONDRE

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