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Epopée de la résilience urbaine #2 : New-Orleans

La semaine dernière, il était question d’une introduction à la résilience urbaine. On s’intéressait aux processus de capacité d’adaptation d’un système quelconque dont le grand enjeux était de déterminer comment s’adapter aux risques plutôt que de s’en défendre par la résistance. L’histoire a démontré que la résistance n’était pas inhibitrice de vulnérabilité et la notion-même de vulnérabilité est remise en cause.

Afin de poursuivre la réflexion autour du thème passionnant de la résilience urbaine, nous allons ici étudier un cas précis, et pour le plaisir de nos fans de Brass Band urbains, celui de la Nouvelle-Orléans. Quelle magnifique démonstration de comment rythmer une ville aux doux sons des cuivres endiablés des inimitables Rebirth Brass Band, from New Orleans. I feel like funkin’ up !

Mais avant, il est indispensable de réaliser un léger retour en arrière dans le temps pour comprendre le contexte d’une telle ville vulnérable aux risques d’inondation.

Betsy 1965 & Katrina 2005

Betsy et Katrina, deux ouragans qui ont littéralement dévasté la Nouvelle-Orléans respectivement en 1965 et 2005. Cinquante ans séparent ces deux-là et pourtant on constate les mêmes dégâts, sinon plus, ont frappé la ville. Betsy a causé la mort de 76 personnes, coûté 1,42 milliards de dollars à l’époque ce qui, reporté à l’inflation actuelle, cela correspond entre 10 et 12 milliards de dollars (2005 USD). En tout, près de 165.000 logements sont inondés dont l’intégralité du quartier français populaire de Tremé. Le Programme de Protection des ouragans de la U.S. Army Corps of Engineers s’est créé en réponse à Betsy. Le Génie Militaire a construit de nouvelles digues et restauré les canaux de la Nouvelle-Orléans qui étaient conçus et dimensionnés pour résister à une tempête plus forte et plus rapide que Betsy et sa catégorie 3.

Comparaison des dégâts causés par les ouragans Betsy (1965) et Katrina (2005) à la Nouvelle-Orléans.

Mais ceux-là ont échoués face à Katrina en août 2005. Plus de 1800 personnes sont emportées sous les effets de l’ouragan et les inondations n’ont jamais eu un tel impact économique pour le pays. La note s’élève à 81 milliards de dollars (2005 USD). Des quartiers entiers submergés par deux mètres d’eau. La ville avait totalement perdu de ses fonctions et services urbains. Plus de 140.000 personnes ont dès lors choisi de quitter la ville. D’après S. Lhomme, doctorant à l’EIVP, sur le thème de recherche de la résilience urbaine : « étant en déclin avant et après le passage de Katrina, certains pensent que la catastrophe, aussi dramatique soit-elle, serait une opportunité pour que les choses bougent enfin. Évidemment, cela est dramatique de penser ainsi, mais d’une certaine façon… la pensée est légitime. »

« Down in the Tremé, we’re all jamin’ and havin’ fun. »

Persister et renaître de Katrina, voilà le leitmotiv de nombreux chercheurs à travers le monde entier qui observent la Nouvelle-Orléans comme dans un laboratoire pour expérimenter les valeurs de la ville résiliente. A l’instar de Chicago après son incendie de 1871, la Nouvelle-Orléans compte bien renaître de ses cendres et ses capacités résilientes sont étroitement liés à la motivation solidaire de sa population. Très attachés à leur forte identité culturelle, les « survivants » de la tempête, car c’est ainsi qu’on les nomme, ce sont des rescapés, ont démontré d’une force mentale incroyable pour remettre la ville sur pied.

Le vouloir est une noble idée mais encore faut-il le pouvoir et la tâche est rude, particulièrement à la Nouvelle-Orléans où les quartiers populaires agacent le gouvernement et ne se bouge pas pour la faire rebondir. Au contraire, les fédéraux américains faisaient en sorte d’empêcher aux habitants de revenir dans leurs habitations après la catastrophe. Pourtant, la plupart des logements de type grands ensembles, du fait de leur hauteur, n’étaient absolument pas touchés par la catastrophe. Les seuls logements habitables étaient rendus volontairement vacants. Allez comprendre.

Une série télévisée diffusée sur la chaîne américaine HBO, est consacrée au quartier français de la Nouvelle-Orléans : Tremé. Pour le synopsis rapide, l’histoire commence trois mois après la catastrophe, un timing parfait qui correspond pratiquement à l’arrêt de diffusion d’information des médias sur les blessures de la ville. Entre reportage et fiction reconstitués, c’est sans doute le meilleur témoignage qu’il puisse être fait concernant la gestion post-crise. Du moins, c’est un rapport suivi et complet, en temps réel et au plus proche de la population de Tremé. Regardez plutôt :

Tous les détails comptent. Les phrases récurrentes : « how’s your house ? », « I just want my city back », « play for the money », »do what you wanna »… Le quartier, mondialement reconnu pour ses brass band et leur musique soul/jazz/funk, sa nourriture, ses traditions de défilés « Second Line » pour les mariages, funérailles ou juste pour faire la fête lors d’occasions en tous genres. Ce sont tous ces détails qui font la force des habitants rescapés qui, par un élan naturel de solidarité, vont vouloir reconstruire la ville. Coûte que coûte, l’ambition est de continuer, même sur une terre dévastée, à défiler pour le meilleur et pour le pire et pour rien au monde ils ne laisserait leur filer sous les doigts une telle richesse culturelle qui n’a pas son pareil.

L’étranger à la ville ne comprend pas un tel amour et attachement pour une ville qui, de toute façon était en déclin depuis déjà bien longtemps, alors pourquoi persister ? Parce-que c’est le propre de l’urbain que de vouloir persister dans son identité, et plus celle-ci est forte et riche, plus on veut la préserver.

Comment rendre la Nouvelle-Orléans résiliente ?

Tous ces termes-là : « préservation », « persistance », « mémoire », « imaginaire », « renaissance », « ambition », « solidarité », « force », « adaptation », autant de sens qui participent à la définition holistique du concept de la résilience. Un merveilleux projet de recherche des architectes-urbanistes américains Waggonner & Ball Architects, appelé Dutch Dialogues, dont les images ci-dessous sont extraites, est un bel exemple de ce qui peut se faire de mieux aujourd’hui en terme de quête de résilience urbaine.

Carte générale de la Nouvelle-Orléans, orientations de projet par l'agence Waggonner & Ball - Dutch Dialogues

Détails des orientations de projet par l'agence Waggonner & Ball - Dutch Dialogues

Vue aérienne des différents canaux et programmation urbaine / proposition de gestion des eaux intégrée aux compositions urbaines de la ville - Waggonner & Ball - Dutch Dialogues

Vue aérienne du "London Avenue Canal" traversant la Nouvelle-Orléans - Waggonner & Ball - Dutch Dialogues

Le "London Avenue Canal" comme il existe aujourd'hui - Waggonner & Ball - Dutch Dialogues

Projet "London Avenue Canal" mêlant espace public et stockage de l'eau - Waggonner & Ball - Dutch Dialogues

Finalement, si l’on se place sur une résilience, en terme de fonctionnalité, l’enjeu n’est pas de persister sur le temps long mais c’est que durant ce temps long, suivant les différents aléas auxquels la ville aura dû faire face, elle aura su et pu garder une même identité, une même structure, et elle aura surtout continuellement assuré une continuité de vie fonctionnelle à la suite d’une perturbation quelconque. La Nouvelle-Orléans a cette force identitaire parmi les plus riche du monde, elle génère un fort élan de solidarité et de volonté de remettre sur pied la ville. En tant que grand fan de leur musique si singulière et inimitable, je souhaite une longue vie à cette belle dame de la Nouvelle-Orléans.

La semaine prochaine nous conclurons cette épopée de la résilience urbaine par une sorte d’inventaire de tous les projets innovants qui prône la résilience urbaine, notamment à partir du projet hollandais : Connecting Delta Cities ainsi que les projets de Singapour, Toranto, Sydney et… la France ! On se demandera si, finalement, l’adaptation est réellement indispensable à l’évolution d’un système. À l’instar du dogme de la sélection naturelle de Charles Darwin, à savoir « l’évolution est à la portée de ceux qui peuvent et qui savent comment s’adapter au milieu environnant », existe-t-il une sélection urbaine ?

To be concluded.

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L'auteur
Bruno Morleo

Rédacteur et associé / Diplômé en Master Génie Urbain, spécialité développement urbain durable - Chargé de mission Développement Durable au sein d'une collectivité territoriale.

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