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L’architecture en imparfaite santé ?

Le début de l’année 2013 marque, dans le secteur du bâtiment et de l’architecture, l’arrivée fracassante de la « Réglementation Thermique 2012 ». C’est aussi l’année du quarantième anniversaire du premier choc pétrolier. Le lien semble évident. C’est à partir de la prise en considération de la raréfaction de la ressource pétrolière et de notre trop forte dépendance que le monde du bâtiment a mis en place une révolution progressive de la façon de construire. 50 kWh/m².an, Bbiomaxmoyen, 5 kWhEP/(m2.an), quels sont les réels impacts sur la santé à l’échelle du bâtiment ?

La santé omnisciente

Les notions de confort ont évolué et l’isolation thermique a transformé le rapport de l’occupant avec son espace intérieur. En marge de ce processus, la santé a été et reste l’une des grandes absentes. Symptôme symptomatique s’il en est, on ne sait d’ailleurs toujours pas vraiment à quoi elle fait référence, ne sachant pas la lier directement avec notre état de santé quotidien. Elle est donc là sans être là, indicible et invisible. Mais peut-on d’ailleurs vraiment la définir ? L’OMS la décrit comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » [1].

La santé touche donc à tout, ou presqu’à tout ce qui a trait au bien-être. Pourtant, les évolutions thermiques de ces dernières décennies n’ont fait que l’handicaper davantage. Le bâtiment est devenu bien souvent inadapté au bien-être et à la santé de ses occupants. Les vingt centimètres d’isolants et la réduction de la taille des ouvrants transforment les espaces intérieurs en véritables boîtes noires. Les ventilations mécaniques double flux à haut rendement transforment l’espace intérieur en une bouteille thermos sans plus aucun rapport avec l’environnement extérieur. Les réseaux aérauliques deviennent de véritables sources de pollutions à force de ne pas être prévus pour être entretenus.

Le renouvellement de l’air réglementaire en France n’a toujours pas adapté les débits d’air neuf à la physiologie des occupants. Les mousses polyuréthanes finissent le travail entamé en calfeutrant les trous d’air et en laissant une odeur irrespirable. Construire nécessiterait donc d’assurer une forme d’innocuité. L’idée n’est pas nouvelle. Mais la santé éprouve des difficultés à prendre son envol. Elle titube faute de soutiens et de convaincus. Il existe pourtant de nombreux cas cliniques dont on aurait déjà dû davantage tirer des leçons.

En 1976 par exemple, c’est lors d’un congrès d’anciens combattants américains dans un hôtel de Philadelphie que 29 personnes ont contracté une pneumonie liée à une bactérie qui sera nommée plus tard la légionelle, en référence à ces anciens soldats de l’American Legion. Le système de climatisation en fut la cause. Si les matériaux, les systèmes et leurs réseaux sont les plus souvent pointés du doigt, c’est toujours a posteriori, le principe de précaution ne pouvant pas toujours être appliqué avant des certitudes sanitaires. Bien souvent, on invente donc au service d’un besoin (thermique ici en l’occurrence) sans se soucier des éventuels dommages collatéraux. Le curatif avant, le préventif après… s’il n’est pas déjà trop tard.

Vers une approche sensible de l’architecture ?

Il serait faux de croire que la santé à l’échelle du bâti ne se résume qu’à une approche de la matérialité et de facto uniquement à la qualité de l’air. L’approche peut en effet être également plus sensible. L’échelle du bâtiment représente un espace personnel et personnalisable dans lequel l’individu recherche son confort. Et cet espace agit comme un « langage silencieux » [2] pour Edward T. Hall. L’exemple du choix des couleurs des revêtements est probant. Une crèche où toutes les surfaces intérieures seraient blanches viendrait par exemple révéler une forme d’irrévérence architecturale. L’absence de prise en considération de l’individu dans son environnement, de l’appropriation de l’espace par l’homme, ou comme ici de l’enfant aux moments clefs de son développement, sont pourtant monnaies courantes. C’est à ce titre, que Abraham Moles [3] prônait une dialectique plus forte entre l’aménagement et la perception, entre l’architecture et les propriétés humaines qu’elle peut offrir. Pour paraphraser Adolfo Natalini, je dirai que si l’architecture est la recherche du faire beau plutôt que du faire bien (vis-à-vis de la santé), alors nous devons rejeter l’architecture.

Vers un nouvel âge

Il est grand temps d’entrer dans l’architecture d’un nouvel âge, d’un nouveau temps. Celui de l’altérité et de la responsabilité. Car qui d’autre est responsable que ceux qui, de l’amont à l’aval, conçoivent le bâtiment ? Alors à quand une architecture assumant une valeur sanitaire éthique fondamentale ? A quand une architecture prenant pleinement conscience de son rôle dans les limitations des effets sanitaires liés au bâti ? Parce qu’il est bien inconcevable de ne pouvoir faire sans l’altérité et la santé dans un monde où le développement durable est devenu un impératif catégorique. A l’image de celui-ci, la santé devrait être un rassembleur, un catalyseur dans une approche bâtimentaire plus globale.

La santé est une problématique transversale car elle touche aux matériaux, à la qualité de l’air intérieur, à la psychosociologie, mais également à la lumière, à l’acoustique, à l’exposition aux champs électromagnétiques, aux risques émergents, etc. On pourrait ainsi aisément la lier à la notion de « performance », comme il est de bon ton de le faire au gré des réglementations thermiques. Ce serait de la combinaison de diverses thématiques, dont la santé, que la performance naîtrait. Et c’est cette valeur ajoutée qui deviendrait majeure, au contraire d’une approche et d’un gain aujourd’hui invisible, et bien souvent imperceptible à court voire à long terme. L’amiante en est un triste exemple. L’apparition de cancers spécifiques a été relié à l’exposition aux fibres cristallines de cette matière pourtant naturelle. Si le développement et la recherche autour de ce matériau avaient, en amont, dépassé l’approche uniquement thermique, il aurait été possible d’adopter une posture de précaution. La thermique aurait ainsi eu des chances de ne pas devenir l’ennemie jurée de la santé et finalement des hommes. Mais à trop vouloir gagner en confort (thermique), on en a perdu la nécessité de mettre l’altérité au cœur de la santé, et la santé au cœur de l’architecture.

Alors, on repense/panse l’architecture ?


[Titre] Imperfect health, the medicalization of architecture, Canadian Centre for Architecture (CCA) and Lars Müller Publisher, 2012.

[1] Préambule à la Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé, 1946.

[2] The silent language, Edward T. Hall, 1959.

[3] Psychologie de l’espace, Abraham Moles, 1972.

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L'auteur
Simon Guesdon

Diplômé en sciences humaines et sociales et spécialisé dans les problématiques de santé à l’échelle du bâtiment et de l’urbain.

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