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De la sécurisation excessive des aires de jeux

The Cargo Ship in Höganäs - Monstrum

The Cargo Ship in Höganäs - Monstrum

Faut-il remettre en question le principe de précaution inhérent à la réalisation des aires de jeux contemporaines ?

Il existe un décalage évident entre les espaces publics qui rythmaient les après-midi de notre enfance et ceux qui sont aujourd’hui fréquentés par la jeune génération. Ainsi, les heures passées dans les arbres, les balançoires faites maison et autres cages à écureuils s’accompagnaient très souvent de bleus, d’ecchymoses et d’autres bobos en tout genre. Aujourd’hui, la tendance est au tout-sécuritaire, à l’aseptisation, à la standardisation de ces espaces publics, au risque de les rendre ennuyeux.

Un décalage accentué par l’urbanisation croissante des territoires : tourniquets et autres toboggans se sont peu à peu substitués aux cabanes dans les arbres. Comme le précise Julie Pêcheur dans un récent billet publié sur le site du Monde. La grande majorité des jeunes Européens et Américains vivent désormais dans les espaces urbains, où l’offre de loisir à l’air libre se matérialise essentiellement par ces squares « nouvelle génération » aux sols souples et molletonnés.

Des espaces de jeux dont l’ouverture est très souvent fonction des événements météorologiques (vent, pluie, neige etc.) et qui ne remplissent pas toujours leur rôle, d’autant qu’ils sont souvent assortis d’une multitude d’interdictions (jouer au ballon, marcher sur la pelouse, etc.). Au final, ces espaces de jeux à l’aire libre ne sont plus de véritables espaces de liberté. Ils sont d’ailleurs très souvent clos par de hautes barrières métalliques peu engageantes.

On a presque l’impression que l’aspect ludique – essence même de leur existence – est sous-estimé au profit de modules de jeux stéréotypés laissant peu de place à la créativité, mais demeurant conformes aux nombreuses exigences réglementaires. La nature et ses multiples variables, pourtant extrêmement propice à la découverte et à l’imagination, est par exemple très souvent absente – ou très restreinte – sur ces terrains de jeux urbains.

La société actuelle a probablement intensifié la complexité des éléments relatifs à la prise de risque. Ainsi, dès lors qu’un enfant se blesse en tombant sur le sol asphalté d’une air de jeu, les parents sont en mesure – et auront probablement le réflexe, pour peu que la blessure soit d’une certaine gravité – d’intenter une action en justice envers le responsable de négligences en matière d’entretien ou de conception de son équipement public. (Caricature) D’où cette sécurisation excessive… Pourtant, il s’agit de bien distinguer d’une part, la mauvaise conception, le manque d’entretien ou la vétusté des aires de jeux. Et d’autre part, le droit à la liberté et à l’aventure. Celui-ci étant souvent délaissé au profit d’une correction des trois autres composantes.

Pour la psychologue Ellen Sandseter, cette position sécuritaire serait relativement néfaste: ainsi l’aversion du risque – pas trop haut, pas trop vite – développée par la fréquentation de ces espaces molletonnés, ferait qu’en grandissant, les plus jeunes deviendraient potentiellement phobiques et peu entreprenants. L’enfant aurait ainsi besoin d’un minimum de danger et d’excitation pour s’épanouir correctement. Comme le souligne David Ball, professeur en gestion du risque de l’Université de Middlesex de Londres, les terrains de jeux contemporains, jugés trop ennuyeux par les enfants, les inciteraient à être moins prudents et pourraient être la cause de blessures plus graves…

L’aire de jeux optimale doit donc, tout en ne tombant pas dans l’excès de sécurité, proposer de véritables défis à ceux qui la fréquentent.

Plusieurs exemples de « playgrounds » allant dans ce sens sont présentés dans le billet de Julie Pêcheur. Et notamment les travaux de l’Agence de Paysagistes BASE avec la remarquable aire de jeux du parc de Belleville, à Paris (ci-dessus), ou celle du parc Sergent Blandan à Lyon (ci-dessous), inaugurée l’été dernier sur le site d’une ancienne caserne. Un ensemble de réalisations s’appuyant sur une fine connaissance des souhaits des populations concernées, tirant pleinement partie des caractéristiques de chaque site. Et proposant un « Paysage à pratiquer, véritable manifeste contre le principe de précaution, » à milles lieues des stéréotypes de catalogue.

S’inscrivant également dans cette volonté de rendre chaque aire de jeux unique en son genre, l’entreprise Danoise Monstrum fabrique des structures en bois inédites et spectaculaires, « emploie aujourd’hui 23 charpentiers, designers et architectes et a livré une centaine d’aires de jeux à travers le monde. »

The Cargo Ship in Höganäs - Monstrum

Enfin, il est également fait mention de la multiplication des « terrains d’aventure » de plus en plus présents en Europe du Nord et aux Etats-Unis, inspirés par le paysagiste Danois Carl Theodor Sorensen. Des espaces intégrant la nature, des activités manuelles et parfois même des animaux ont ainsi été imaginés. L’exemple The Land inauguré à Wrexham en février 2012, petite ville du Pays de Galles au sud de Liverpool est caractéristique: un terrain vague, situé à proximité d’un ruisseau et mis à disposition des enfants qui retrouvent sur place de nombreux éléments de récupération, (palettes pneus, cartons, cordes, tuyaux de béton etc.) pour laisser libre cours à leur imagination…

Cet ensemble d’initiatives nous montre qu’il est encore possible de concevoir – et ce malgré la multitude de normes – des aires de jeux urbaines offrant de véritables challenges aux plus jeunes. Tout cela est à mettre en perspective avec la « mode » des vastes plaines de jeux couvertes qui fleurissent un peu partout en France, véritable « must have » des programmistes. Pourtant, l’idée de créer ce genre de complexe, complètement couvert, – alors que les plus jeunes passent la plupart du temps en intérieur entre les écrans, l’école et les activités extrascolaires – peut paraître assez ahurissante au regard des exemples présentés précédemment…

Et vous qu’en pensez vous ?

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