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Le monde merveilleux de la ville connectée

Intelligente, c’est ainsi qu’est qualifiée la ville de demain. La « Smart City » sera connectée ou ne sera pas. Dès lors, l’interaction citadin/ville ne doit son salut qu’à un outil : le smartphone. Même si 95% de la population est aujourd’hui équipée de ce petit objet très intelligent qui a connecté nos vies, les utilisateurs ne sont pas tous égaux quant à son utilisation et quant à sa connectivité, engendrant de fait, une nouvelle forme d’inégalité dans l’espace urbain.

Le phénomène de Smart City est au cœur de bien de projets associés à la mutation urbaine. La Ville Intelligente transforme tant les usages que les codes de ceux qui habitent ou travaillent dans le périmètre urbain. Le smartphone, objet de toutes les convoitises dans cette nouvelle ère d’hyper connectivité, permet à son utilisateur tant de se repérer dans la ville que d’y vivre, d’une manière nouvelle, à savoir connectée. L’utilisateur est  désormais repéré, compté, analysé, géolocalisé, guidé, informé mais aussi et surtout utilisé comme vecteur de données. Toutes sortes d’applications envahissent ce marché dominé par des start-up toujours plus imaginatives proposant encore et toujours, un service nouveau facilitant le quotidien du citadin. Au centre de la Ville Intelligente se rejoue donc la question primordiale de la connexion et des accès. Or, aussi utiles soient-ils, ces outils de communication ne rendent pas systématiquement les villes plus égalitaires ni solidaires mais socialement plus cloisonnées.

La ville est devenue un lieu d’hypermobilité. Les aéroports, les ports, les gares – points d’entrée dans la ville – sont conçus pour gérer parfaitement une situation d’articulation des réseaux et d’accès aux mobilités. Et dans notre ère d’hypermobilité, l’utilisateur se doit d’être connecté tant pour informer que pour lui-même être informé. Les applications sont là pour accompagner le citadin dans sa mobilité urbaine et faciliter cette dernière. Mobilité quotidienne, guidée tant par des motivations personnelles que professionnelles.

Aussi, faut-il différencier « l’urbain connecté » de « l’urbain non connecté ». Le premier est celui qui se déplace dans le périmètre urbain pour des raisons professionnelles et des raisons plus personnelles liées à ses loisirs ou sa vie privée, et ce, de manière connectée. Cet « urbain connecté » se rend sur son lieu de travail, en rendez-vous professionnel, à des activités sportives et culturelles, sort de manière plus festive, plus fréquente, plus rapide et plus impulsive. Le périmètre urbain est son monde, il le maîtrise et connaît ses codes et ses usages. Il est pressé. Toutes les applications qui fleurissent sur le marché lui sont destinées, elles facilitent sa mobilité et lui évitent des errances urbaines chronophages. Il se déplace avec une dextérité et une connectivité avérées.

Photo : Rachel Scharly

« L’urbain non connecté » traverse la ville sans l’apprivoiser. Plus modeste et avec une vie professionnelle moins expensive et moins intense dans l’espace urbain, il subit la ville plus qu’il n’en profite. Davantage victime d’un accès moindre à la connectivité et aux applications, il se retrouve lésé par rapport à « l’urbain connecté ». Son déplacement dans la ville est plus chronophage et parfois plus laborieux que ceux qui sont hyperconnectés. En exclusion de connectivité, l’implication dans l’espace intelligent de la ville est inégale et l’accès à l’information est désavantagé. Cet « urbain non connecté » paraît non autorisé dans l’espace intelligent. Il est dominé par la ville.

Dès lors, le constat est double, il existe tant une fracture sociale que d’exclusion de connectivité dans cette ville connectée.

Cette fracture sociale et cette exclusion de connectivités se vérifient aussi sur un lieu de mobilité accessible à toutes les catégories socioprofessionnelles et à tous les âges : l’arrêt de bus.

La Metropolitain Transportation Authority plus connue sous l’acronyme MTA, est une entreprise publique chargée de la gestion des transports publics de la ville de New York et de son agglomération. Comme la RATP en France, elle constitue le plus grand réseau de transport en commun aux Etats-Unis. Malgré ce rayonnement, force est de constater que quasiment aucun arrêt de bus de la ville n’est équipé de panneaux informant le temps d’attente de l’arrivée des bus, si ce n’est ceux en direction des aéroports. Comme si cette information pourtant importante dans la gestion du temps ne s’adressait pas à tout le monde ou du moins, pas de la même manière.

Photo : Rachel Scharly

Pour accéder à ces informations, l’usager doit « simplement » télécharger l’application de la MTA «  MTA Bus Travel Time » et être ainsi informé en temps réel de la situation de son bus directement sur son smart phone. Si cette application fait toute la fierté de l’entreprise New Yorkaise, elle engendre un effet pervers non négligeable, une mise à l’écart du pan de la population la plus fragile, n’y ayant pas accès. En effet, tous les utilisateurs n’ont pas forcément accès à internet en dehors d’un périmètre WIFI, inexistant à proximité des abris voyageurs ou arrêts de bus New Yorkais. Si la ville de New York a bien installé des bornes wifi, il n’y a pas forcément de corrélation entre l’implantation de ces bornes et la proximité d’un arrêt de bus, si ce n’est un coup de chance.

Par ailleurs, les voyageurs ne sont pas tous égaux face à la dextérité demandée pour utiliser cette application. Cette catégorie d’usagers est alors confrontée à 3 choix. Le premier est de demander des informations à d’autres usagers mieux équipés en matière de connectivité. Le second est de faire preuve de patience et d’attendre, sans aucune information, l’arrivée de son bus, accentuant un peu plus, le phénomène
de mise à l’écart. La troisième solution est de choisir un autre mode de transport, forcément moins durable. Qui a envie d’attendre, dans l’incertitude la plus totale, son bus à un arrêt pas forcément équipé d’un abri voyageurs et dans une ville où l’écart de température peut aller de 40 degrés en été à -20 degrés au plus froid de l’hiver ? Indirectement, la MTA favorise, en 2017, un clivage entre mobilité urbaine, ce qui reste son métier, et équité sociale, ce qui en soit, n’est pas forcément un concept américain.

Photo : Rachel Scharly

De l’autre coté de l’Atlantique, la RATP a pris en considération les disparités sociales et a conservé, lors du lancement de son application, le système d’information en temps réel installé depuis 1987 sur tous ses abris voyageurs, en partenariat avec la ville de Paris et le géant de l’affichage publicitaire, JC Decaux. Par ailleurs, comme le souligne la RATP, au delà d’une équité pour tous les voyageurs, le fait de conserver les tableaux d’information permet aussi à une utilisation de ces tableaux pour informer la population d’un message important en cas d’évènement majeur. Là encore, la conservation de ces panneaux permet une vraie équité en cas d’urgence ou de catastrophe de part un accès à l’information uniforme.

On parle de Ville Intelligente mais en excluant une partie de la population, l’est-elle toujours ? On peut alors prendre le parti de parler de ville connectée mais connecté ne signifie pas aussi « uni » ? Pourtant cette Ville Intelligente ne considère pas tous les citadins égalitairement. Certains ne seront, semble-t- il, jamais repérés, comptés, analysés, géolocalisés, guidés, informés, ou du moins, pas tout de suite. Soyez tout de même les bienvenus dans le monde merveilleux de la ville connectée !

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