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Portrait du jeune urbaniste. Quelle insertion professionnelle des urbanistes diplômés en France ?

Logistique Urbaine Durable

L'urgence environnementale et la volonté de développer le « durable » conduisent les acteurs du secteur à innover. Surtout avec l'augmentation de 26% du nombre de kilomètres d'embouteillages aux heures de pointe en Île-de-France entre 2010 et 2013 et la tendance à construire des entrepôts de plus en plus loin de la ville.

En France, depuis les lois de décentralisation, on estime à 20 000 le nombre d’urbanistes formés au sein des Instituts d’urbanisme universitaires. Un millier de diplômés de Master en urbanisme et aménagement du territoire font chaque année leur entrée sur le marché de l’emploi. Mais qui sont les jeunes urbanistes des années 2010 ? Qui emploie des urbanistes aujourd’hui en France ? Dans quelles conditions ? Quelques éléments de réponse issus d’une enquête menée en 2014 par le CNJU et l’APERAU.

L’offre de formation en urbanisme et aménagement du territoire s’est considérablement développée et diversifiée à partir de la fin des années 1960 avec la création des Instituts d’urbanisme universitaires. Ces établissements, au nombre d’une quinzaine, ainsi que d’autres départements d’enseignement supérieur, délivrent une offre de formation complète dans le domaine de l’urbanisme (DESS, DEA, puis Master, Doctorat). Comme l’a souligné le Sénat en 2012 dans un rapport [tooltip text= »(1/) » gravity= »e »]1/ “Pour une nouvelle architecture territoriale de l’ingénierie en matière d’urbanisme”, rapport d’information de M. Pierre Jarlier, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat, 17 juillet 2012.[/tooltip], les lieux de formation universitaire en urbanisme et aménagement du territoire ne manquent pas d’atouts. Leur particularité : conjuguer enseignement, recherche et professionnalisation… au croisement des études urbaines et des politiques publiques.

En France, un millier de diplômés en urbanisme font ainsi chaque année leur entrée sur le marché de l’emploi, dont deux tiers de femmes, titulaires, pour une large majorité, d’un Master en Sciences humaines et sociales Mention Urbanisme et aménagement (Bac+5). Ils ont préalablement suivi un cursus de niveau Licence au minimum et sont déjà diplômés de l’Université (UFR ou IUT), d’Instituts d’Etudes Politiques, d’Ecoles d’ingénieurs ou d’architecture et de paysage. Pour près de 50% d’entre eux, c’est une formation initiale en géographie et aménagement du territoire.

Dans l’exercice de leur métier, les jeunes urbanistes conjuguent différentes compétences, principalement analyse et prospective territoriales (42%), coordination (40%) et animation de projets urbains et territoriaux (30%), selon l’enquête conduite en 2014 par le Collectif National des Jeunes Urbanistes et de l’Association pour la Promotion de l’Enseignement et de la Recherche en Aménagement et Urbanisme [tooltip text= »(/2) » gravity= »e »]/2 Le Collectif National des Jeunes Urbanistes (CNJU) et l’Association pour la Promotion de l’Enseignement et de la Recherche en Aménagement et Urbanisme (APERAU) – regroupant les Instituts d’urbanisme – ont conduit en 2014 une enquête sur l’insertion professionnelle des diplômés en Urbanisme et aménagement du territoire de niveau Master (Bac+5). Co-pilotée avec Michel Micheau, directeur du cycle d’urbanisme de Sciences Po, cette enquête concerne les promotions 2011, 2012 et 2013 de diplômés de Master et fait suite à deux précédentes éditions conduites en 2010 et 2012 par le CNJU. Au total, plus de 2500 diplômés de Master ont été enquêtés en cinq ans. Avec 1 111 réponses, l’enquête 2014 couvre 34% des jeunes diplômés issus des Instituts d’urbanisme universitaires et autres formations en urbanisme et aménagement de niveau Master (UFR/départements de géographie et aménagement du territoire).[/tooltip]. Ces missions d’aide à la décision constituent le coeur de métier des urbanistes diplômés en France aujourd’hui, aussi bien au sein des secteurs public, parapublic et privé. Suivent d’autres missions d’urbanisme opérationnel (production d’opérations, conception urbaine) en se référant aux sept domaines de compétences proposés par le « référentiel métier » de l’office professionnel de qualification des urbanistes [tooltip text= »(/3) » gravity= »e »]/3 Office professionnel de qualification des urbanistes (OPQU), « Le métier d’urbaniste : Domaines d’activité, fonctions et compétences », Le Moniteur, 29 décembre 2006, N°5379[/tooltip].

Quels domaines de compétences pour les Jeunes Urbanistes ?

Qui recrute des urbanistes aujourd’hui en France ?

Depuis l’apparition d’une première génération de diplômes d'études supérieures spécialisées (DESS) professionnalisants à la fin des années 1980 et le « rodage » des cursus de Master, les jeunes urbanistes trouvent leur place sur un marché de l’emploi cohérent : la diversité des débouchés professionnels et la solidité des filières de recrutement attestent du caractère qualifiant de leurs formations en urbanisme. Or, récemment, on observe une chute du taux d’emploi dans le domaine de l’urbanisme : entre 2012 et 2014, il passe de 76% à 70% pour les diplômés présents depuis 21 mois sur le marché de l’emploi. Certes, ce recul est à mettre en relation avec l’aggravation de la situation économique. Mais des dysfonctionnements propres au marché de l’emploi de l’urbanisme persistent avec pour résultante une précarisation accrue des jeunes urbanistes, en particulier au sein de la fonction publique.

De manière globale, les secteurs public et privé font jeu égal en totalisant chacun 39% des débouchés pour les jeunes diplômés, 22% des emplois étant pourvus dans les différentes structures du secteur parapublic. Les collectivités locales (29% des emplois pourvus) et le secteur de la consultance privée en assistance à maîtrise d’ouvrage (22% des embauches) sont les deux principaux employeurs d’urbanistes avec 51% des emplois au total, loin devant onze autres catégories d’employeurs qui assurent, à part quasi égale, le reste des recrutements. Au sein des collectivités locales, les communes, communautés et métropoles offrent près de trois quarts des emplois, loin devant les syndicats mixtes et autres groupements de collectivités.

Quels employeurs pour les jeunes urbanistes ?

En termes d’évolution, si la part des emplois d’urbanistes offerts par les employeurs du privé demeure stable de 2010 à 2014, on constate des fluctuations entre les secteurs public et parapublic, ce dernier passant de 21% des emplois en 2010 à 17% en 2012 pour remonter à 22% en 2014. Une explication est le recul significatif de la part des emplois pourvus au sein des collectivités locales qui passent de 38% en 2012 à 29% en 2014. Rigidification des conditions d’accès à la fonction publique territoriale, baisse des dotations et élections municipales de 2014 sont autant de facteurs explicatifs.

Les fonctions occupées en 2014 par les jeunes urbanistes diplômés sont principalement ceux de « chargés d’études », « chargés de mission », « chargés d’opérations » et, dans une moindre mesure, celle de « chef de projet », fonction de responsabilité qu’ils aspirent à exercer par la suite.

Une insertion professionnelle rapide mais avec des conditions difficiles

Près de 70% des diplômés trouvent un emploi d’urbaniste dans les trois mois après leur diplôme ce qui s’explique en partie par le fait que 25% des urbanistes diplômés ont décroché un emploi chez les recruteurs qui les avaient accueillis en stage dans le cadre de leur cursus de Master.

Dans sept régions sur dix, les urbanistes primo-accédants sur le marché de l’emploi travaillent majoritairement dans la région où est implanté leur lieu de formation en urbanisme. De manière générale, le premier emploi décroché est très majoritairement localisé au sein de la région d’implantation des formation en urbanisme. Si 42% des emplois d’urbanistes occupés par les jeunes diplômés sont pourvus en région Île-de-France, notons que 40% des diplômés en urbanisme y sont également formés. Il existe donc des marchés locaux de l’emploi ce qui plaide pour la dynamisation de réseaux régionaux d’urbanistes professionnels. Enfin, seulement 5% des jeunes diplômés en urbanisme occupent un emploi d’urbaniste à l’étranger.

Le salaire moyen d’un jeune diplômé exerçant dans l’urbanisme est 1 839 euros net/mois tandis que le salaire médian s’élève à 1 750 euros net/mois avec des écarts de rémunération assez importantes selon les différentes catégories d’employeurs : on constate un écart d’environ 400 euros entre les salaires des urbanistes consultants ou des collectivités locales et ceux du secteur de l’urbanisme opérationnel. Les meilleures rémunérations sont obtenues au sein des établissements publics d’aménagement et fonciers, chez les aménageurs (SEM/sociétés publiques locales) ou les opérateurs de services publics en réseau. A titre de comparaison à l’échelle nationale, le salaire moyen d’un jeune diplômé d’un bac +5 est d’environ 1700 euros net en 2014, avec une évolution à la baisse marquée [tooltip text= »(/4) » gravity= »e »]APEC, Les jeunes diplômés de 2014 : situation professionnelle en 2015[/tooltip]. A l’inverse, le salaire moyen net des jeunes urbanistes a progressé entre 2012 et 2014 de près de 200 euros : les urbanistes diplômés « se vendent mieux » et leurs compétences semblent mieux valorisées sur le plan salarial malgré des conditions d’insertion plus difficiles depuis trois ans.

Rentrés sur le marché de l’emploi dans un contexte à la fois particulier (période pré et post électorale des municipales de 2014) et d’aggravation générale du chômage au niveau national, les diplômés de Master en 2013 sont en effet dans une situation plus délicate que les prédécesseurs : au printemps 2014, le taux d’emploi dans l’urbanisme de cette promotion était de 50%. On note par ailleurs une augmentation de la part des recrutements d’urbanistes en CDD (50% contre 45% en 2012) et une baisse de la part des cadres (57% en 2014 contre 59% en 2012 et 64% en 2010). Les 2/3 de ces CDD ont été signés pour une durée inférieure ou égale à un an.

La situation est particulièrement délicate dans les collectivités territoriales et leurs groupements, principal recruteur pour les jeunes urbanistes, qui ne sont pas en mesure de leur garantir une sécurisation de leur parcours professionnel : 88% des embauches des jeunes diplômés entre 2011 et 2013 au sein des collectivités locales ont été réalisées en CDD. L’enquête fait ainsi le constat – contre-intuitif – d’une plus grande proportion de CDI dans le privé et des situations de précarité de l’emploi dans le public [tooltip text= »(/5) » gravity= »e »]Voir les récentes questions écrites des députées Audrey Linkenheld, rapporteure de la loi ALUR et Estelle Grelier, vice-présidente de l’AdCF.[/tooltip]

L’amorce d’un dialogue opérationnel entre les employeurs et les Instituts d’urbanisme

Cette situation interpelle les fédérations d’employeurs en termes de gestion des ressources humaines : elles souhaitent davantage de lisibilité pour les diplômes en urbanisme, avec leur certification professionnelle [tooltip text= »(/6) » gravity= »e »]En droit français et depuis la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, une qualification professionnelle est, soit un certificat, soit un diplôme, soit un titre professionnel, enregistré au Répertoire National des Certifications Professionnelles (CNCP), et accessible par la Validation des Acquis de l’Expérience (VAE).[/tooltip] et le développement de la formation continue, en lien étroit avec leurs besoins. Dans ce contexte, le choix, sans équivoque, de l’ensemble des Instituts d’urbanisme d’opter pour la mention Urbanisme et aménagement du diplôme national de Master apparaît comme celui de la cohérence. A l’invitation de Sylvia Pinel, Ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité – en charge de l’urbanisme – les fédérations d’employeurs [tooltip text= »(/7) » gravity= »e »]Voir la démarche du Groupe des fédérations d’employeurs d’urbanistes initiée par l’AdCF et la FNAU[/tooltip] s’emparent de ce sujet pour renforcer la lisibilité des compétences et des qualifications professionnelles des urbanistes, jeunes ou moins jeunes. Ce dialogue doit pouvoir déboucher sur des actions concrètes pour contribuer à fluidifier le marché de l’emploi et faciliter les évolutions professionnelles entre les différents lieux d’exercice et entre pays européens.

A cet égard, la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelle des urbanistes [tooltip text= »(/8) » gravity= »e »]Créés respectivement en 1985 et 1987, le Conseil européen des urbanistes – (CEU – European Council of Spatial Planners) et AESOP (Association of European Schools of Planning) constituent aujourd’hui les deux instances de référence pour la reconnaissance des qualifications professionnelles des urbanistes au sein de l’Union Européenne, processus s’inscrivant dans le cadre juridique général de Directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles.[/tooltip] au sein de l’espace européen est aujourd’hui à l’agenda du Conseil Européen des Urbanistes et de l’association européenne des écoles d’urbanisme (AESOP). Ce processus implique la certification professionnelle des diplômes et un cadre de référence commun au sein de l’espace européen de l’enseignement supérieur (LMD, processus de Bologne).

Alors que la maîtrise d’ouvrage publique de l’urbanisme est en pleine (ré)organisation avec l’essor des PLU intercommunaux, l’accès à la fonction publique territoriale n’a paradoxalement jamais été aussi difficile pour les urbanistes diplômés de l’Enseignement supérieur. Or être urbaniste au sein des collectivités locales, ce sont à la fois des compétences propres et des compétences transversales, « structurantes » pour toute la profession, comme le soulignait un rapport réalisé en 2011 par le cabinet ARISTAT pour le compte du CNFPT [tooltip text= »(/9) » gravity= »e »]Retrouver le rapport du cabinet ARISTAT et une lecture synthétique sur le site Internet du CNJU [/tooltip]. Si la maîtrise d’ouvrage des collectivités n’est pas stabilisée, elle ne peut garantir une qualité de la commande publique et un fonctionnement optimal du marché des études urbaines. Quelles seront les répercussions sur la qualité des projets urbains et territoriaux?

1/ “Pour une nouvelle architecture territoriale de l’ingénierie en matière d’urbanisme”, rapport d’information de M. Pierre Jarlier, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat, 17 juillet 2012. http://www.senat.fr/notice-rapport/2011/r11-654-notice.html

/2 Le Collectif National des Jeunes Urbanistes (CNJU) et l’Association pour la Promotion de l’Enseignement et de la Recherche en Aménagement et Urbanisme (APERAU) – regroupant les Instituts d’urbanisme – ont conduit en 2014 une enquête sur l’insertion professionnelle des diplômés en Urbanisme et aménagement du territoire de niveau Master (Bac+5). Co-pilotée avec Michel Micheau, directeur du cycle d’urbanisme de Sciences Po, cette enquête concerne les promotions 2011, 2012 et 2013 de diplômés de Master et fait suite à deux précédentes éditions conduites en 2010 et 2012 par le CNJU. Au total, plus de 2500 diplômés de Master ont été enquêtés en cinq ans. Avec 1 111 réponses, l’enquête 2014 couvre 34% des jeunes diplômés issus des Instituts d’urbanisme universitaires et autres formations en urbanisme et aménagement de niveau Master (UFR/départements de géographie et aménagement du territoire).Voir la présentation des résultats en ligne sur le site Internet du CNJU. Source : http://www.jeunes-urbanistes.fr/?p=2541

/3 Office professionnel de qualification des urbanistes (OPQU), « Le métier d’urbaniste : Domaines d’activité, fonctions et compétences », Le Moniteur, 29 décembre 2006, N°5379 http://www.opqu.org/pdf/opqu_referentiel_urba_204.pdf

/4 APEC, Les jeunes diplômés de 2014 : situation professionnelle en 2015

/5 Voir les récentes questions écrites des députées Audrey Linkenheld, rapporteuses de la loi ALUR (N° 80465 http://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-80465QE.htm ) et Estelle Grelier, vice-présidente de l’AdCF (N° 81078 http://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-81078QE.htm)

/6 En droit français et depuis la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, une qualification professionnelle est, soit un certificat, soit un diplôme, soit un titre professionnel, enregistré au Répertoire National des Certifications Professionnelles (CNCP), et accessible par la Validation des Acquis de l’Expérience (VAE). Source : http://www.cncp.gouv.fr/repertoire

/7 Voir la démarche du Groupe des fédérations d’employeurs d’urbanistes initiée par l’AdCF et la FNAU
http://www.adcf.org/contenu-article?num_article=3084&num_thematique=8

/8 Créés respectivement en 1985 et 1987, le Conseil européen des urbanistes – (CEU – European Council of Spatial Planners) et AESOP (Association of European Schools of Planning) constituent aujourd’hui les deux instances de référence pour la reconnaissance des qualifications professionnelles des urbanistes au sein de l’Union Européenne, processus s’inscrivant dans le cadre juridique général de Directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles.

/9 Retrouver le rapport du cabinet ARISTAT et une lecture synthétique sur le site Internet du CNJU Source : http://www.jeunes-urbanistes.fr/?p=1847

[author]

Olivier Crépin est responsable Développement économique, transports et mobilités à l’Assemblée des Communautés de France (AdCF) et a été délégué général du Collectif National des Jeunes Urbanistes (CNJU) de 2013 à 2015. Diplômé du DESS de l’Institut d’Urbanisme de Paris (Ecole d’Urbanisme de Paris) et auditeur de l’Institut des Hautes Etudes de Développement et d’Aménagement du Territoire en Europe (IHEDATE).

Florence Gall-Sorrentino est chargée de mission à la Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme (FNAU) et ancienne vice-présidente du Collectif National des Jeunes Urbanistes (CNJU) déléguée aux Formations et à l’insertion professionnelle. Diplômée du DESS du cycle d’urbanisme de Sciences Po, elle a exercé en tant qu’urbaniste à l’Atelier parisien d’urbanisme, en SEM et en tant que consultante. Elle est également auditrice de l’IHEDATE. [/author]

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