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Je suis urbaniste, ai-je raté ma vie ?

C’est une question tout à fait légitime qui nous est parvenue récemment, au préalable d’un long témoignage poignant, mais un peu lassant passées les 234 premières lignes. Une question, comme un appel au secours d’un destin brisé par une orientation professionnelle qui ne disait pas, au départ, ce vers quoi elle conduirait. Nous appellerons notre contributeur Klaus, parce qu’il est souvent de coutume de faire ainsi pour les témoignages honteux, ou, dans un tout autre registre, pour les stars de films est-allemands.

Pour mes parents, ça a été comme la tempête de décembre 1999 avant l’heure

A l’incipit d’une tirade lacrymale, Klaus revient sur son parcours : une enfance heureuse dans un pavillon de la classe moyenne de ces espaces contre lesquels il luttera par la suite avec indifférence (à force de consensus professionnels), une formation d’homme-sandwich suivie d’un master en urbanisme dans un Institut de province plutôt médiocre et un premier emploi au sein d’une collectivité franchement de gauche mais sans les idées.

« J’ai eu un parcours somme toute assez atypique, parce que mes parents ont d’abord voulu de grandes choses pour moi. Ils voulaient que je sois l’étendard d’une marque de fast-food, que je devienne un homme sandwich. Mais un soir je les ai déçus. »

Klaus raconte ensuite comment, après avoir entendu un certain Jean Nouvel parler, un soir de juin 1999, sur une onde de radio culturelle, il a eu le déclic pour la ville et les métiers qu’elle offrait, avant de faire part de ses nouveaux choix professionnels à son ascendance :

« Il y avait ce type à la radio qui parlait de ce qu’il faisait pour les villes. Il disait qu’il était un peu urbaniste. J’ai eu immédiatement l’envie de faire comme lui. Et parce que je ne pouvais pas garder toute cette joie pour moi, je l’ai partagée avec mes parents. Mais quand je leur ai dit que je renonçais à une carrière d’homme-sandwich pour faire urbaniste, ils n’ont pas vraiment eu la réaction que j’escomptais. »

Et Klaus de poursuivre :

« A mes mots, maman s’est effondrée en pleurs et en tombant sur le parquet a mortellement étouffé Pistache notre chat angora. Papa lui, est devenu rouge et il a hurlé dans toute la maison qu’il n’aurait pas de fils urbaniste, avant de claquer la porte d’entrée et de filer en trombe dans la Twingo vert-pomme de tante Aimée pour faire le tour du lotissement et se calmer. Pour mes parents, ça a été la tempête de décembre 99 avant l’heure. »

Il a fallu que j’affronte une batterie d’experts en orientation professionnelle

Mais Klaus n’a jamais été du genre à se résigner. Et malgré la réaction excessivement négative de ses parents, qui aurait pourtant dû l’alerter sur son choix, il a préféré suivre son rêve :

« Je savais que je devais faire ça, que j’étais fait pour ça, et entre autre chose, pour la danse de salon. Je savais aussi que la réaction de mes parents était aussi soudaine que passagère et qu’ils penseraient avant tout à mon bonheur. Bien sur, j’attends toujours qu’ils me reconnaissent à nouveau en tant que fils pour cela, mais ça viendra je le sais. »

A 23 ans, alors qu’il tire une croix sur son ancienne vie, son chat angora et la maison de ses parents, Klaus se lance dans une formation d’urbaniste :

« Ça n’a pas été facile au début. D’abord parce qu’il a fallu que j’affronte une batterie d’experts en orientation professionnelle du CIO qui se sont tous cassés les dents sur mon cas. Aucun ne savait réellement me dire ce qu’il fallait faire pour devenir urbaniste, alors ils finissaient par éluder mes questions, soit en se cachant sous le bureau, soit en me proposant un cursus de maçon. Il y’en a même un qui, un jour, après avoir tenté de me répondre, a refait sa vie au Paraguay en tant qu’éleveur de chevaux. »

Après trois mois de recherche  et un passage par Interpol, Klaus finit par trouver sa formation :

« J’ai intégré un Institut d’Urbanisme après d’atroces sélections. Je crois que c’est mon parcours pluridisciplinaire qui a plu et ma formation d’homme-sandwich. »

Durant ses deux années de Master, Klaus sera ainsi formé aux rudiments de l’exercice du métier à grands renforts de théories, de figures de l’urbanisme marxiste, de stylos feutres à pointe fine et de code de l’environnement :

« Ça a été les meilleures années de ma vie, parce qu’on était entre urbanistes et qu’on dessinait au stylo feutre à pointe fine. Bien sûr, il y avait des architectes, mais ceux-là, on ne les voyait pas beaucoup. Et puis ils avaient du mal à s’intégrer à cause de leur style vestimentaire et de leurs lunettes opaques. »

Au boulot, les gens ont commencé à parler de trucs bizarres

Lorsque Klaus quitte l’Institut d’Urbanisme, son diplôme « sans valeur » en poche, il se lance dans la recherche d’un premier emploi :

« J’étais tellement heureux, j’allais enfin pouvoir exercer le métier dont je rêvais depuis les paroles radiophoniques de Jean Nouvel. Mais la première difficulté ça a été au moment de pointer à l’Agence Pôle Emploi locale. Lorsque je suis arrivé devant mon conseiller, il m’a clairement dit qu’il ne pouvait pas m’enregistrer en tant qu’urbaniste, parce que pour son institution, ce métier n’existait pas, au même titre que porteur d’eau ou toiletteur pour loutre, et que du coup, j’aurais mieux fait d’être architecte parce que ça aurait été plus simple pour lui. »

Face à cette première déconvenue, Klaus essaye alors de trouver un poste par ses propres moyens et parvient à décrocher au terme d’une dizaine d’entretiens, un premier boulot d’Assistant à chargé de mission de suivi et de contractualisation d’opérations de renouvellement urbain au sein d’une collectivité locale :

« C’était génial, j’avais enfin trouvé un vrai boulot dont l’intitulé ne voulait rien dire. Seulement, ça n’avait plus rien à voir avec l’Institut et surtout, il n’y avait plus ces stylos feutres à pointe fine… En plus, au bureau, les gens ont commencé à parler de trucs bizarres que je ne comprenais pas. Des PUP, des ZIF, des PIG, des TDENS et des SPANC.  Moi je demandais juste des stylos feutres à pointe fine, mais ils n’en avaient pas. »

Pour Klaus, ce ne fut là que le début de la désillusion :

« La deuxième semaine, on m’a collé sur une réunion publique. C’était sur une histoire de DUP(e) et on m’avait dit que ce serait bien pour moi d’y aller, que ce serait formateur parce que je n’aurais qu’à regarder. Quand je suis arrivé dans la salle, j’ai retrouvé mon collègue. Il tremblait un peu. Ensuite les gens sont entrés et ils ont dit qu’ils allaient nous faire la peau. Alors ils ont pris mon collègue, ils l’ont attaché à un rondin de bois par les poignets et les chevilles et ils l’ont embarqué. Ça a été une épreuve traumatisante. On n’a jamais retrouvé mon collègue. »

Les relations qu’il entretient avec quelques amis se dégradent soudainement

Tandis que Klaus se fait progressivement à l’évidence qu’il ne fera jamais qu’effleurer le dixième du plaisir que Jean Nouvel et ses clones éprouvent à ériger bien malheureusement à eux seuls, la ville de ce début de siècle, les relations qu’il entretient avec quelques amis se dégradent soudainement :

« Un soir j’ai retrouvé des amis qui vivaient dans la ville ou je venais d’obtenir mon nouveau boulot. On est sorti pour boire un verre. Très vite on en est venu à évoquer nos occupations professionnelles respectives. Je leur ai dit que j’étais urbaniste. »

Klaus nous raconte ensuite comment la situation a finalement dégénérée :

« Rodolphe (le prénom a été changé), m’a brutalement interpellé sur la question du stationnement en ville. Il m’a demandé si je trouvais ça normal qu’on fasse chier les automobilistes en permanence et m’a fait remarquer que si ça continuait comme ça, cette putain de municipalité allait probablement positionner des herses aux entrées de l’hypercentre pour crever les roues des honnêtes travailleurs. J’ai essayé de lui répondre en argumentant sur la nécessité de réduire les flux routiers, de développer les transports en commun et de partager l’espace des circulations pour tempérer le centre-ville, mais il s’est rapidement braqué. Greta (le prénom n’a pas été changé), plutôt acquise à la cause écologiste a répondu à Rodolphe que c’était probablement une bonne chose parce qu’il y avait trop de voitures en centre-ville et que ça stressait les moineaux, ce à quoi Rodolphe a rétorqué qu’elle n’était qu’une connasse de bobo et que si les voitures l’emmerdaient tant que ça, elle n’avait qu’à s’expatrier dans le Larzac. »

Et Klaus de poursuivre :

« Rodolphe a finalement dit qu’on était bien fait pour s’entendre, Greta et moi, et qu’il nous laissait terminer la soirée entre mangeurs de salades. Il y a eu un long silence avant que Greta m’apprenne que je venais de lui casser son coup avec Rodolphe. Ensuite elle est partie en me giflant. »

Sans famille et désormais sans amis, Klaus songe sérieusement à devenir architecte :

« Je crois que je me suis planté en fin de compte. Les urbanistes sont accablés en permanence. Quand un truc dysfonctionne dans la ville, on les pointe du doigt. C’est différent pour les architectes. Eux ils font les bâtiments, du coup, quand quelque chose ne va pas, on ne remet pas en cause tout un quotidien. Sauf, bien sur, si les accès qu’ils conçoivent ne respectent par les normes handicapé. Et puis, si je deviens architecte, je pourrais enfin porter des écharpes en  été… Faudra  juste que je me tape encore cinq ans d’études. »

 

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