UrbaNews

Le container : futur de la ville flexible?

A'Docks © Vincent Fillon

A'Docks © Vincent Fillon

L’objet est simple et pourtant passionnant. Longtemps laissé à la discrétion des transports de marchandises, symbole de la mondialisation, le container inventé en 1956 par l’américain Malcolm McLean, a récemment entamé une petite révolution dans les milieux de l’architecture et de la construction. Depuis les années 60 et 70 et les réflexions autour de la ville métabolique, mais surtout depuis Londres en 2001 et l’installation des premiers Containers Home Kit sur les docks de la Tamise, la boîte de conserve en acier Corten a fait du chemin, ouvrant de surcroît le champ des possibles et des usages que le futur d’une ville plus mobile et flexible pourrait bien lui réserver…

Penser l’après « containerisation » du commerce mondial

En 2010, on estimait à 12 millions, le total des containers en circulation dans le monde (Source : Banque Mondiale), sans compter tous ceux qui, passés une dizaine d’années de bons et loyaux services, finissent remisés dans des ports ou des terrains vagues. A raison de 30 m² en moyenne de surface par containers, cela pourrait représenter quelques 360 millions de mètres carrés – soit un peu plus de trois fois la superficie de Paris – qu’il faudra un jour recycler !

12 millions de containers en circulation en 2010. Crédits photo : UrbaNews

Car si aujourd’hui le transport de marchandises par voie maritime se porte très bien – avant la crise du COVID-19 – et assure quasiment 90% du fret mondial, les incertitudes liées au coût des carburants et au ralentissement de la croissance chinoise posent question sur son avenir. Que se passera-t-il lorsque le prix du baril de brut atteindra durablement les 150 ou les 200 dollars ? Cette éventualité suppose d’ores et déjà de réfléchir au recyclage de ces objets de la mondialisation, sans attendre une éventuelle source d’énergie capable, à des coûts similaires de celui du carburant aujourd’hui, de remplacer un jour notre très cher pétrole…

Des projets encore timides

[…] Sur les docks, les empilements de containers s’intègrent parfaitement dans les perspectives des barres d’immeubles de la banlieue de Rotterdam, toute proche. Même tons – bleus et bordeaux pour les caisses comme pour la cité – mêmes numéros – d’immatriculation ou d’escalier – mêmes grues, mêmes tirets de néons ponctuant l’alignement, mêmes silhouettes qui errent et griffonnent les parois.

Philippe Vasset in “Exemplaire de démonstration” ed. Fayard 2003, via Transit City

Au Havre, à Amsterdam ou à Auckland, là où les accumulations des artéfacts du commerce maritime ressemblent à s’y méprendre à une extension physique et culturelle du corps de la ville, des projets d’habitat conçus à partir de containers se développent. De la mer à la terre, du bateau à la ville, les containers recyclés et aménagés en espace de vie abritent désormais des complexes de logements pour étudiants, comme c’est le cas à Amsterdam depuis 2004, ou au Havre depuis 2010, des espaces de bureaux, à Londres, ou des lieux d’échanges culturels…

A’Docks © Vincent Fillon

En France, les réalisations de projets à partir de containers demeurent peu présentes. En partie à cause des réglementations et notamment des normes liées à la sécurité des constructions qui interdisent certains aménagements de ce type. Et quand enfin, on parvient à mettre sur pied un projet, comme ce fut le cas au Havre, ces mêmes normes tendent à faire peser sur la construction un surcoût qui finit par ôter tout l’intérêt économique (comptez entre 1 500 et 3 000 euros le container d’occasion de 12 mètres et entre 500 et 1 000 euros du m² pour son aménagement) et éthique du container et de son recyclage. Pourtant, les besoins en matière de logements et en particulier de logements d’urgence sont réels. Reste que passées les contraintes réglementaires, il est toujours difficile de vendre ces objets, même après leur reconfiguration, tant ils demeurent intimement liés à l’image de leur destination originelle.

L’habitat nomade et modulable, un vieux rêve

Depuis les années 50 et les premières réflexions de fond sur l’habitat modulaire emmenées notamment par le groupe Archigram autour des notions de « Plug-in City » et d’« Instant City », les structures génériques et semblables aux qualités du container (comme c’est le cas des modules ALGECO) ont timidement conquis le monde de la construction. Si les travaux d’Archigram, trop utopiques sinon trop « fictionnels », n’ont jamais réellement aboutis ailleurs que sur un papier, il faudra attendre les années 70 et le mouvement métaboliste japonais pour assister à l’émergence des premières réalisations utilisant le principe de modularité et d’évolutivité des constructions.

La Tour capsule de Nakagin réalisée par l’architecte nippon Kurukawa et commercialisée en mars 1972, représente ainsi le seul exemple de cette forme d’architecture préfigurant dans son essence, ce que tendent à recouvrir nombre de projets récents, jouant sur la modularité des constructions et de leurs intérieurs. A l’origine, la tour était ainsi conçue pour que, à partir d’une structure principale chargée de distribuer les fluides (eau, électricité, etc.), des capsules préfabriquées et meublées en usine puissent venir s’y fixer. D’une dimension standard (comme les containers depuis les années 60), les capsules pouvaient alors être combinées afin de multiplier l’espace intérieur.

Offrir des lieux multiformes et multi-usages

A l’heure où les projets urbains, entraînés par l’essor des usages liés au numérique et à l’hyper mobilité, accordent de plus en plus d’importance à la mixité de ce qui longtemps a fait partition (des sphères publiques et privées, des fonctions et de leur distribution dans l’espace, de l’inertie et du mouvement…), le container semble disposer en germe, de tous les ingrédients indispensables à l’émergence d’une ville plus flexible et résiliente.

Le concours « Hybrid Containers » lancé chaque année par ALGECO, témoigne ainsi au travers des retours des participants, des nombreuses possibilités qu’offre le container, à la fois dans l’occupation des espaces résiduels ou transitionnels de la ville, mais aussi et surtout dans la création d’hétérotopies évolutives, permanentes ou éphémères :

Placé sous un périphérique, le container devient ainsi un lieu d’hébergement d’urgence, un lien social et spatial dans la ville. Positionné stratégiquement sur un espace public, il contribue à l’accueil temporaire de manifestations culturelles, grandi à la mesure de leurs besoins, se déplie et se replie selon le type d’occupation. Adossé aux ruptures physiques, à l’entre-deux des choses, il prend la forme d’un passage, d’une infrastructure offerte à la ville et à ses mobilités…

En somme, les usages aussi bien que les formes possibles aux assemblages de containers, paraissent infinies, renvoyant implicitement l’objet aux précédents travaux des membres d’Archigram sur la conception de lieux « multi-tout », nomades et sans cesse réinventés : Living Pod de David Greene (1966), Capsule (1963) et Cushicle de Michael Webb (1966)…

Si l’existence du container en tant que lieu se justifie par l’évolution de nos rapports à la ville, et par l’évolution des rapports de la ville aux territoires, elle devient également pertinente face aux enjeux croissants de la résilience que présuppose la vulnérabilité de nos métropoles face non seulement aux catastrophes naturelles (comme ce fut le cas avec l’ouragan Sandy à New York), mais également à l’avenir économique et aux cycles de décroissances qu’elles peuvent connaître ou pourront subir à l’avenir…

Demain, la « ville containers » ?

Et si le container bouleversait demain l’évolution des villes et de leurs fonctionnements (comme il a déjà bouleversé le monde des échanges commerciaux) ? A quoi pourrait ressembler une « ville containers » ?

Dans Le successeur de Pierre, paru en 1999, Jean-Michel Truong imagine déjà, assortie d’une vision plutôt dystopique, la figure d’une telle ville. Sur les quatre coins du globe, l’humanité rescapée d’une épidémie de peste vit désormais dans de vastes structures, des « unités de survie », composées de milliers de containers entassés les uns sur les autres :

Vu de l’extérieur, c’étaient des containers, en tout point semblables à ceux utilisés pour le transport des marchandises. A l’intérieur, ils étaient aménagés comme des caravanes. On les empilait au fur et à mesure sur les aires de stockage. Une fois en place, on les branchait aux circuits d’air conditionné, d’eau, […] puis on les connectait au web.

A jouer au même exercice, on pourrait très bien, de façon certes moins négative que Truong, imaginer les contours de la ville containers, ou le port et ses infrastructures s’inviteraient partout et contribueraient à l’émergence d’un autre développement urbain :

La fin du carburant bon marché et l’essor de l’imprimante 3D sont en train de précipiter la faillite des grandes compagnies maritimes de transport de marchandise. Sur les quais et dans les décharges, des centaines de milliers de containers vides s’entassent. Depuis le port duquel on décharge un flot ininterrompu de ces boîtes en fin de « vie maritime », une plateforme mobile montée sur des rails parcourt désormais la ville. C’est une structure de métal qui enjambe la route et sous laquelle passent les voitures et les bus. Le long de son trajet, la plateforme dépose les containers préalablement aménagés en unités de vie modulables et sitôt, des familles, des entreprises et des magasins s’y installent…

Et si aujourd’hui, précipités par la stagnation de la croissance, la diminution de nos capacités à faire et les bouleversements sociaux, les besoins de nos villes se conjuguaient avec la nécessité, bientôt, de recycler ce qui finira tôt ou tard par péricliter ?

Quitter la version mobile