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Eloge de la ville en hiver : ville enneigée, ville transformée

A Lyon, Place Bellecour, un homme fait du ski de fond

Depuis plus d’une semaine maintenant, l’offensive de l’hiver et de la neige maintiennent les médias sous perfusion, relayant à l’heure du journal, et à grand renforts d’envoyés spéciaux congelés, les affres du temps et leur lot de conséquences désastreuses, qui lorsqu’elles ne touchent pas directement les hommes, paralysent leurs journées. Derrière les galères d’automobilistes, les précaires du logement (qu’il ne faut pas oublier en cette période mais également le reste de l’année) et les surchauffes électriques, la situation réservait à urbanews l’occasion de s’arrêter sur un rapide éloge. Celui de la neige tombée sur la ville.

Ville enneigée, ville transformée

« C’est beau une ville sous la neige », dirait le souffle court, grelotant sous le froid, une vieille dame de la mer, peu habituée à voir cette chose là s’inviter jusque dans les rues et le parcours de son quotidien. C’est vrai que c’est beau, quand ce n’est pas tout simplement synonyme d’emmerdes. La neige a ce pouvoir de transformer la ville, en substance, le regard qu’on lui portera.

Hier, les lieux et les endroits de la cité, si communs à leur habitude, si habituels à nos sens, ont semble-t-il désertés, laissés place à quelque chose d’autre. Une matière aussi froide que légère et pourtant, aussi forte et puissante que le temps jouant sur des décennies les changements de la ville, de ses contours et de sa morphologie. Hier, petite commune de province, perdue dans les plaines de l’ouest, aujourd’hui, bourgade de montagne ou station de ski.

L’imaginaire fait le reste, parachève le bouleversement de l’espace urbain, homogénéisé, égalisé sous le poids si fin de la neige. Partout, sous à peine dix centimètres de poudreuse, les trottoirs, les routes et les parterres ont disparu. Ne reste plus ici qu’un règne de glace, qu’une étrange atmosphère de grand nord. Un état de nature retrouvé, arasant les traits et les symboles de la modernité d’un monde grouillant fuyant vers la croissance et le développement.

Ville enneigée, ville apaisée

Plus de voitures, plus de transports et le silence comme seul présence. Recouvrant ce que l’homme hier réservait à son destin pour prendre en charge ses déplacements et le lot de ses échanges, la neige a vite entrepris de ralentir le rythme de la vie urbaine. Sur les routes tapissées d’un voile blanc, quelques passants, la marche encore hésitante, bâtons de ski entre les mains, ont relégué les machines au garage, redécouvrant dans un autre décor de ville les bienfaits de la locomotion naturelle.

A pieds, en vélo, d’autres, forme d’anagéographisme, chaussures aux skis, voilà la neige redessinant soudain les mobilités de la ville et prolongeant jusque à ses franges le programme de piétonisation initié un peu plus tôt en son centre.

Extirpé de son auto sous la contrainte, le citadin réapprend à croiser son double, là ou peut être jamais encore sur des portions du chemin qui le mène à son travail ou à l’épicerie du coin, il n’était venu l’occasion ou la volonté pour lui de marcher tout simplement. Comme on découvre la ville sous son nouveau jour, on découvre le passant, se prenant ou se surprenant même bientôt à le saluer.

Ville enneigée, ville amusée

Alors que les automobilistes, commun des mortels, voient dans ces épisodes de grand froid et de temps pourri, les conséquences somme toute personnelles d’un échec professionnel temporaire, pour la somme des individus non tenue par un exercice salarié ou une urgence de dernière minute à l’inverse, la neige apparaît souvent synonyme de gaieté et de jeux, ré enchantant pour quelques heures ou quelques jours, la ville et ses rues d’habitude si noires d’asphalte.

Si les enfants, faute d’école ou grâce de weekend, sont les premiers à investir le terrain de la ville enneigée, transformant les coins et les recoins de la cité, tantôt en un immense champ de bataille, tantôt et à la faveur de quelques dénivelés, en une petite station de sport d’hiver, il en est d’autres, retraités, chômeurs, mère ou père de famille, étudiants concernés par leurs études, pour qui la neige encore aura les mêmes vertus.

Dans les rues bouleversées par l’hiver, quatre types qu’on croirait débarqués de la montagne viennent de chausser leurs snowboards. Sur la piste improvisée, jalonnée d’hôtels particuliers et d’apparts style renaissance, les voilà glissant sans excès de vitesse, frôlant les rétros, pour finir en l’espèce d’une apothéose sur un tremplin tout juste élevé.

La ville sous la neige a des airs de grande récréation, cette espèce de force à pouvoir amuser. Une réalité qui trouve certainement son ampleur dans le caractère fortuit et éphémère d’une rencontre rare, à peine approchée, déjà dissipée.

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