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Partie du cortège de la marche du 17.10.2016 à Quito

Décrypter Habitat III (2/3) Résistances à Habitat III : forums sociaux et manifestations

L’organisation à Quito par les Nations Unies de la 3ème Conférence sur le Logement et le Développement Urbain Durable (Habitat III) a été l’occasion pour les décideurs politiques et financiers du monde entier de promouvoir leur vision du futur urbain… en laissant au passage de côté la moitié de l’humanité qui habite toujours dans des territoires ruraux.

Pour reprendre les adjectifs récurrents, ce futur est celui des villes « durables », car de plus en plus « intelligentes » grâce aux technologies qui permettent de produire des « grosses données » (big data) sur les modes de déplacement, de consommation, de vie et de pensée des usagers des villes. Un avenir radieux digne des plus belles dystopies (1984, Blade Runner…). Les villes se devront aussi d’être « compétitives ». Bien entendu, une saine compétitivité, qui comme chacun sait, tire tout le monde vers le haut, sans générer d’inégalités ou de consommation de ressources naturelles.

Heureusement, les personnes qui comme moi ne partagent pas cette vision de l’avenir ont pu participer à des rencontres plus intéressantes que celle proposée par l’organisation officielle.

Face à Habitat III des espaces d’expressions ouverts et alternatifs

Pendant les mêmes journées que la conférence officielle (du 17 au 20 octobre), plusieurs rencontres alternatives ont été organisées. Les principaux contre-forums se sont tenus dans trois universités de Quito :

  • À l’université privée FLACSO avait lieu le forum « Vers un Habitat 3 Alternatif » (H3A) organisé par un groupe de chercheurs et de praticiens de l’urbain autour de Fernando Carrión et de Jordi Borja.
  • À l’université catholique PUCE avait lieu « PUCE HIII » avec pour slogan « Agenda global, actions locales ».
  • Dans différentes facultés de l’Université Centrale d’Équateur (UCE) avait lieu le « forum social de Résistance à Habitat III » (Resitencia HIII), autogéré par un groupe d’habitants de Quito regroupés dans un collectif appelé Comité Populaire pour Nos Territoires face à Habitat III, et de bénévoles de plusieurs pays.

D’autres événements publics alternatifs ponctuels se sont déroulés par exemple à l’Hotel Solera où se tenaient les réunions organisées par Habitat International Coalition (HIC), ou encore au bureau andin de la Fondation Rosa Luxembourg. Tous ces espaces étaient libres d’accès et avaient lieu en espagnol ou avaient une traduction vers l’espagnol, de façon à ce que la population locale puisse être incluse sans barrière.

« H3A » et « PUCE HIII » étaient des espaces plutôt institutionnels dans lesquels sont venus des chercheurs, professionnels reconnus, leaders de mouvements sociaux, élus de différentes villes, etc. Les séminaires étaient plutôt protocolaires, avec des plateaux d’invités, des conférences et des séances de questions-réponses, avec également des présentations de livres et des expositions.

Sur un mode plus autogéré et bricolé, « Resistencia HIII » offrait un large éventail de discussions, d’ateliers, de projections, d’expositions, de visites de quartiers et même de manifestations.

La richesse de la programmation des contre-événements a permis une importante fréquentation, de personnes qui ont été parfois dans plusieurs d’entre eux et parfois aussi dans l’officiel. La FLASCO estime à 5.000 personnes le nombre de participants par jours pour H3A, qui a fait déplacer bon nombre d’étudiants et de professionnels pour voir des personnalités reconnues comme Ada Colau et Joan Subirats d’Espagne, Raquel Rolnik et Pedro Abramo du Brésil, Ana Sugranyes et Alfredo Rodriguez du Chili, Cuauhtémoc Cárdenas et Enrique Ortiz du Mexique, ou encore Saskia Sassen des Pays-Bas.

La simultanéité des événements alternatifs a logiquement diminué la fréquentation respective, ce qui a eu pour effet que certains ateliers de « Resistencia HIII », forum des mouvements sociaux, se sont déroulés avec peu de participants. Par contre, ce qui était notable dans celui-ci était la diversité des publics et des activités proposées par des organisations de nombreux pays, et essentiellement d’Amérique latine. Des mouvements sociaux ont fait le déplacement de toutes parts pour proposer des activités, échanger sur leurs expériences de luttes, proposer des déclarations et des agendas communs.

Les Français dans tout ça ? Mis à part un militant des Ateliers Populaires d’Urbanisme de la Villeneuve (Grenoble-Echirolles) et l’association UrbaMonde France qui animaient des activités et participaient au forum « Resistencia HIII », je n’y ai pas rencontré de mouvements français. Les Français étaient apparemment bien plus nombreux dans l’espace officiel et dans les cocktails organisés à « la maison de l’Agence Française de Développement »

Forum social de résistance : espace d’expression et de manifestation des exclus d’Habitat III.

J’ai particulièrement été impressionné par la richesse des échanges et de la participation au forum « Resistencia HIII », qui a été une réelle agora pour les personnes et organisations qui n’auraient jamais été retenues dans l’espace officiel ou même dans la FLACSO et la PUCE, car non connue, non académique ou trop activiste.

Mon impression a été qu’il y avait plus d’ateliers et de conférences organisées par des femmes que par des hommes, à l’inverse des espaces plus institutionnels. Des femmes souvent très engagées venues témoigner de leurs luttes quotidiennes, face à une violence de genre systématique, au patriarcat, aux préjugés, aux atteintes à leurs droits, à ceux de leur famille et à l’environnement. Également beaucoup de femmes investies à différents titres dans des collectifs d’habitants, des organisations de soutien, des laboratoires de recherche, des médias alternatifs, etc.

De nombreux espaces avaient également été organisés par des mouvements indigènes d’Équateur, dont la confédération nationale (CONAIE) a organisé plusieurs discussions sur la démocratie communautaire, la reconnaissance des territoires indigènes ou encore la protection de l’Amazonie face aux politiques et aux pressions extractivistes (plus d’informations à ce sujet dans le prochain article).

La veille de l’inauguration du forum, les organisateurs avaient préparé une visite dans le quartier populaire en lutte Monte Sinaí, situé en périphérie de Guayaquil, la principale ville du pays. Ce quartier a été historiquement autoconstruit par des familles de sans-toits qui ont occupé des terrains qui sont aujourd’hui destinés à un mégaprojet de « nouvelle centralité urbaine » pour la ville de Guayaquil. Celui-ci prévoit des développements immobiliers considérables, avec un prêt de la Banque Interaméricaine de Développement. Le gouvernement central ayant décidé de récupérer ces terrains par la force, ce sont déjà plus de 6.000 familles qui ont été expulsées depuis 2011 avec des méthodes violentes.

Lorsque je m’y étais rendu début 2015, dans le cadre de mon projet Habitat en Mouvement (voir l’article consacré) des voisins revenus s’installer à Monte Sinaí après avoir été expulsés, racontaient l’épisode traumatisant du 10 mai 2013, jours de la fête des Mères, lorsqu’à 7 h du matin près de 2500 policiers, militaires et agents de circulation ont vidé 420 maisons de leurs habitants pour que cinq grandes pelleteuses les démolissent sous leurs yeux en quelques minutes. Les familles n’ont presque rien pu garder de leurs biens et n’ont pas été dédommagées malgré leurs protestations.

En plus de la visite à Guayaquil, plusieurs porte-paroles de Monte Sinaí sont venus à Quito pour participer à des manifestations et à un « Tribunal International des Expulsions » (TIE) organisé à la faculté de jurisprudence, dans le cadre de « Resistencia HIII ». Il s’agit du 5e TIE organisé dans le monde depuis 2011. Un TIE consiste en un tribunal d’opinion basé sur le Pacte International des Droits Economiques Sociaux et Culturels, et des instruments légaux liés à la réalisation du droit au logement et à la terre. Son objectif est de donner de la visibilité aux luttes et propositions de celles et ceux qui subissent des violations de leur droit au logement, des déplacements forcés, etc.

Sur les 88 cas internationaux reçus, 7 ont été jugés dans ce TIE du 17 octobre à Quito, parmi lesquels le cas de l’expulsion des familles Rom du « bidonville de la Petite Ceinture » à Paris, et d’autres cas du Brésil, Congo, Corée du Sud, Équateur, États-Unis et des Territoires occupés de Palestine. Les cas reçus au TIE sont transmis aux gouvernements concernés et au Rapporteur Spécial des Nations Unies pour le Logement Convenable.

Des manifestations très encadrées par les forces de l’ordre

Toujours dans le cadre de « Resistencia HIII » étaient organisées deux manifestations, le 17 et le 20 octobre, respectivement pour l’inauguration et la clôture de la conférence Habitat III, pour interpeller les participants et les représentants des états, sur les luttes urbaines en cours dans le monde. Lors de ces manifestations, j’ai pu rencontrer une grande diversité de mouvements de nombreux pays.

Les principales revendications exprimées étaient la lutte des indigènes pour la préservation de leurs territoires et de l’Amazonie, des organisations écologistes ou de quartiers contre l’extraction polluante de ressources naturelles, contre des rejets non contrôlés d’industries polluantes, contre des cas d’expulsions pour des concessions minières ou des projets d’infrastructures, contre des expulsions ou la gentrification de différents quartiers, pour le logement populaire et les coopératives de logements, contre les féminicides…

Etaient évidemment présent des mouvements d’habitants et des organisations de nombreux pays d’Amérique Latine, mais aussi par exemple de Corée du Sud, avec des militants de Gangjeong Village, qui lutte contre l’installation d’une base militaire sur une île et qui dénonçaient également la violence de la répression dans les manifestations.

Dans tous les événements sur l’espace publics il devait y avoir au moins autant de policiers en armures que de manifestants… Les forces de police avaient pour ordre que le cortège de la manifestation ne se rapproche pas des espaces officiels d’Habitat III ou reste invisible pour les touristes.

Lors d’un meeting de femmes indigènes qui s’est terminé par des danses traditionnelles et dans la bonne humeur, des altercations ont eu lieu entre la chaine de policiers et les manifestants qui assistaient pacifiquement à cette rencontre. L’image des femmes indigènes âgées ou au contraire d’enfants et d’adolescent-e-s qui se jettent contre les boucliers pour éviter que d’autres ne se fassent bousculer était impressionnante et témoignait de leur expérience en matière de rapport de force.

Cependant, en demandant à des personnes présentes s’il y avait toujours autant de forces de l’ordre dans les manifestations indigènes on m’a répondu que « non, seulement pour Habitat III… »

Pour clore cette série d’articles de décryptage d’Habitat III, je traiterai dans le suivant de deux cas concrets de luttes que j’ai eu l’occasion de documenter de plus près, en périphérie de Quito et en Amazonie.

Lire les déclarations des forums alternatifs :

HIC : Déclaration en français. Vidéo en anglais.

Forum « Resistencia Habitat III » : Déclaration en espagnol.

Forum « Hábitat 3 Alternativo » : Déclaration en espagnol.

Plateforme Globale pour le droit à la ville : Déclaration en français (octobre 2015)

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L'auteur
Pierre Arnold

Charlène Lemarié et Pierre Arnold, deux urbanistes français de 26 ans partis pour un voyage d'un an sur les routes d'Amérique du Sud. De ce voyage naît un projet : Habitat en Mouvement, qui a pour objectif d'apprendre et d'échanger sur l'autogestion comme forme de production et d'amélioration de l'habitat.

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