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Décrypter Habitat III (1/3) Habitat III, par qui, pour qui, pour quoi faire ?

La maison de la culture équatorienne et son jardin, investis par la conférence Habitat III, dans le centre de Quito.

La maison de la culture équatorienne et son jardin, investis par la conférence Habitat III, dans le centre de Quito.

Il y a quelques semaines se tenait à Quito une série d’événements internationaux étrangement peu couverts par les médias français. De retour de deux semaines en Équateur, je vous propose mon analyse de ce qui a eu lieu durant ces quelques journées d’octobre qui ne changeront pas le monde. Politiciens, banquiers, architectes, urbanistes, économistes, chercheurs, étudiants, journalistes et militants du monde entier se sont retrouvés ou effleurés à l’occasion de la 3ème Conférence des Nations Unies sur le Logement et le Développement Urbain Durable (Habitat III), ou des forums alternatifs organisés en parallèle dans les universités de la capitale équatorienne.

La maison de la culture équatorienne et son jardin, investis par la conférence Habitat III, dans le centre de Quito.

Habitat quoi ?

Premier constat : à part l’observation du fait que les grands axes de circulation étaient déviés du 17 au 20 octobre et que la maison de la culture équatorienne, en plein centre de Quito, était devenue un bunker sécurisé, les habitants n’avaient aucune idée de ce qui se déroulait dans leur ville. En discutant avec les chauffeurs de taxi, les commerçants ou les passants aux alentours, la réaction était toujours la même, « on n’est pas vraiment au courant, on sait juste qu’il y a beaucoup d’étrangers ». Pourtant à la radio on pouvait entendre des spots publicitaires expliquant quelque chose comme « Quito reçoit Habitat III, le plus grand événement de l’histoire de l’Équateur ! Quiteñas et Quiteños nous sommes les hôtes de ce  grand sommet qui décidera de l’avenir durable des villes. Soyons à la hauteur de ce moment historique ».

L’accès à la Casa de la Cultura n’était heureusement pas interdit à la population locale, mais les files interminables de personnes en costumes attendant pour s’enregistrer, se faire contrôler aux rayons X comme dans un aéroport, et le fait de devoir passer un dispositif de sécurité avec des milliers de policiers pour voir des conférences en anglais étaient suffisamment dissuasifs pour que la population locale se contente des spectacles populaires organisés pour la plèbe dans le centre historique et les parcs.

De ce que j’en ai vu et entendu, Habitat III officiel, c’étaient des dizaines de milliers de personnes dans des conférences plénières, des ateliers dans des événements latéraux (side-events), des expositions, des « pavillons pays », des expositions, et surtout des stands de propagande de structures publiques (ministères, villes, agences de développement…) ou privées (Samsung, Veolia…). L’objectif principal pour les personnes présentes comme pour les représentants des gouvernements de plus de 150 pays : se taper dans le dos et se congratuler les uns les autres, en buvant des vins étrangers et en échangeant des cartes de visite entre pairs.

En clair : plus de 30 millions de dollars déboursés par la ville de Quito pour l’organisation d’un grand événement de réseautage. Quelles retombées pour les habitants ? Ces derniers pourront tout de même jouir de quelques pistes cyclables toutes neuves qui, d’après les témoignages des riverains, ont été peintes à la hâte quelques jours avant l’inauguration d’Habitat III, dans les quartiers où se trouvaient les hôtels qui allaient recevoir pléthore de  touristes du premier monde. Malheureusement, je n’ai pas compté plus de 4 cyclistes à Quito pendant mon séjour, tant le trafic automobile est dense.

Un nouvel agenda urbain, pour rien.

Comme son nom l’indique, Habitat III fait suite à Habitat I (Vancouver, 1976) et Habitat II (Istanbul, 1996) qui ont été d’importants événements au cours desquels ont été construit des positions fortes sur le développement des villes avec les habitants, les associations et les gouvernements locaux comme principaux acteurs. Habitat I avait par exemple soulevé les conséquences d’une urbanisation rapide et incontrôlée dans les pays du Sud, et une nécessité des États de s’appuyer sur les associations et les habitants eux-mêmes pour consolider les quartiers populaires et leur fournir les infrastructures et services de base. Habitat II, quatre ans après le sommet de Rio, avait permis d’intégrer les enjeux du développement durable dans la planification, et par exemple le rôle des gouvernements locaux dans le contrôle de l’expansion des villes et la sauvegarde des espaces naturels et agricoles.

Ces deux conférences avaient été marquées par des négociations qui s’étaient soldées par la signature d’un Agenda Habitat pour les 20 années suivantes, pour donner un cadre à l’action des États en matière de logement, d’aménagement et de développement urbain. À Habitat III aucune négociation n’a été nécessaire, puisque le « Nouvel Agenda Urbain » signé à Quito avait été bouclé en amont de la conférence. L’écriture de cet agenda s’est jouée durant des mois d’échanges dans des dizaines de forums régionaux et thématiques organisés par les Nations Unies à travers le monde, et dans les contributions envoyées par les États et dans une moindre mesure le monde académique ou la société civile.

Paradoxalement, le Nouvel Agenda Urbain 2016-2036 (NAU) représente une position des États signataires sur le développement des villes, sans participation des gouvernements locaux (communes, agglomérations, métropoles…) qui en ont la gestion. Comme l’accord de Paris sur le climat signé à la suite de la COP21, il a surtout la caractéristique de ne pas être contraignant. En d’autres termes, il ne sert à rien.

Pour vous faire une idée, consulter le NAU en Français. Toutes les versions préliminaires (drafts) du NAU ont été minutieusement compilées sur un site dédié de HIC et le site Cityscope. On y trouve un document particulièrement intéressant présentant les commentaires des différents États suite à la publication du premier brouillon en mai 2016.

On peut y voir par exemple que des pays comme les Etats-Unis, le Canada, la Chine, la Colombie, la Russie ou encore l’Union Européenne se sont farouchement opposés à la mention du Droit à la Ville dans la déclaration. Néanmoins, grâce à l’appui des gouvernements du Brésil (avant la destitution de Dilma Rousseff) et du Mexique, les mouvements sociaux du monde entier ont réussi à garder le terme de Droit à la Ville dans le texte désormais en vigueur (article 11 « Notre vision commune »).

Pour reprendre les propos de l’urbaniste catalan Jordi Borja lors de l’assemblée générale de la Coalition Internationale pour l’Habitat (HIC), dimanche 16 octobre :

« Habitat III, c’est de la pure rhétorique, de la pure fiction, une vraie farce. Nous devons développer davantage les idées que nous défendons. Le droit à la ville est bien plus qu’un « catalogue de droits ». C’est lutter pour conquérir ces droits. Cela veut dire attaquer les causes, attaquer les acteurs, attaquer les lois, attaquer les politiques urbaines qui bien  qu’elles nous disent faire du logement social, envoient les travailleurs urbains toujours plus loin vers les périphéries des villes. Il n’est pas nécessaire d’aller jusqu’à une révolution, ce qu’il faut c’est une volonté politique démocratique ».

Un important recul vis-à- vis des conférences et agendas précédents

L’écriture du Nouvel Agenda Urbain n’a pas été basée sur l’analyse des accomplissements ou non des engagements des États lors des Agendas Habitat précédents. De plus en passant d’un agenda Habitat, orienté sur le logement et les services de base dans les villes comme dans les campagnes, à un agenda exclusivement Urbain, le contenu est passé à des grands principes sur comment doivent être les villes : intelligentes, vertes, durables et surtout compétitives, orientées vers le libre-échange et la création de richesses. Le logement est par exemple clairement considéré comme un moteur de l’économie :

Article 46. « Nous nous engageons à promouvoir le rôle que jouent le logement abordable et durable et le financement du logement, y compris la production de l’habitat social, dans le développement économique, ainsi que la contribution du secteur à la relance de la productivité dans d’autres secteurs économiques, sachant que le logement favorise la formation du capital, la création de revenus, la création d’emplois et des économies qui peuvent contribuer à induire une transformation économique durable et inclusive aux niveaux national, infranational et local ».

De manière on ne peut plus explicite, on retrouve dans cet agenda libéral ce que le géographe britannique David Harvey est venu expliquer dans le forum de résistance à Habitat III : la nécessité du capitalisme d’investir de manière permanente dans l’urbanisation pour écouler le surplus de capital et générer toujours plus de richesses pour les grands groupes, en endettant les travailleurs (accumulation par dépossession).

L’architecte mexicain Enrique Ortiz qui était déjà présent à Vancouver en 1976, année de création de HIC, expliquait lors de l’assemblée générale de la coalition avec une vision rétrospective :

« Ce pour quoi nous luttons aujourd’hui était déjà l’objet de nos luttes de l’époque. L’Agenda Habitat signé à Vancouver était beaucoup plus progressiste que celui d’aujourd’hui. Il comprenait par exemple les passages suivants :

Bien évidemment, nous continuons à lutter pour tout cela, mais les gouvernements ont fait marche arrière. Comme le disait Einstein, “ne demande pas à celui qui a créé les problèmes qu’il les résolve”. La balle est dans notre camp camarades, continuons à lutter ».

Face à Habitat III et à son monde, des forums sociaux et des marches de résistances à Quito

L’espace officiel n’offrant pas de lieux de discussion ou de négociations entre mouvements sociaux et autorités, différents contre-forums ont été mis en place en parallèle de la conférence Habitat III. Comme le mentionnait Joseph Schechla, coordinateur de HIC, « à Vancouver et à Istanbul il n’y avait pas besoin d’organiser de contre-forum puisque les mouvements sociaux avaient leur mot à dire et leur place dans les négociations au sein de l’espace officiel ».

Mes prochains articles aborderont les échanges que j’ai pu suivre dans ces forums sociaux, les manifestations indigènes et les visites à des quartiers en résistance contre de grands projets urbains.

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