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Wiki Bimby : pour un urbanisme open source, en filière courte et démocratique

Initiée par des acteurs publics et privés sur le territoire d’une cinquantaine de collectivités en France, la démarche BIMBY se développe aujourd’hui bien au-delà des travaux de recherche publique qui l’ont vu naître. Si le concept constitue une réponse innovante à la crise du logement, conjuguant l’aspiration des Français à vivre en maison individuelle et les impératifs de densification de nos espaces urbains, elle est aussi originale dans sa mise en œuvre. BIMBY est en effet l’une des premières démarches « open source » dans son domaine. Support de cet urbanisme collaboratif, la plateforme WikiBimby a été mise en ligne durant l’été 2015. Elle met à la disposition de tous, professionnels, élus, étudiants ou citoyens, les résultats des opérations pilotes menées jusqu’ici. Ceux et celles qui expérimentent ces dispositifs, outils et méthodes, et souhaitent s’impliquer dans leur développement, sont invités à contribuer.

Le constat de départ : une crise du logement aggravée par la lutte contre l’étalement urbain

Premier constat : 87% des français rêvent d’habiter en maison individuelle : cette aspiration est-elle incompatible avec la nécessité de densifier les espaces urbains ? N’y a-t-il aucune alternative au logement collectif en promotion immobilière, à la fois cher à produire et source de frustration pour les ménages français ?

Second constat : avec 19 millions de maisons individuelles sur le territoire français, si chaque année seulement 1% des propriétaires divisaient leur terrain, cela produirait 190 000 logements: plus du tiers des objectifs annuels de construction neuve. La collectivité y trouverait aussi son compte : à la clé, une production de logements neufs peu coûteuse (les équipements et les réseaux sont déjà là !), une évolution et un renouvellement harmonieux des quartiers d’habitat (de petites maisons ont moins d’impact paysager qu’un immeuble), ainsi qu’un contact renoué ou du moins renouvelé avec ses habitants.

Le rêve de 87% des habitants en France... Vue aérienne de la commune de Cadaujac en Gironde, qui s’est engagée dans une démarche BIMBY en 2013 (crédit photo : Denis Caraire)

« 87% des français rêvent d’habiter en maison individuelle ». Vue aérienne de la commune de Cadaujac en Gironde, qui s’est engagée dans une démarche BIMBY en 2013 (crédit photo : Denis Caraire)

De ces constats, un concept est né : le BIMBY, pour « Build In My BackYard », clin d’œil au concept sociologique du « NIMBY » (Not In My Back Yard) ainsi qu’à l’omniprésence des sigles dans l’urbanisme français. Le projet vise à encourager et accompagner les propriétaires de maison individuelle dans la division de leur terrain, en vue de vendre un lot à bâtir ou la construction d’un second logement sur leur parcelle.

Ces initiatives privées peuvent en effet générer une offre de logement ou de foncier à bâtir idéalement située, au sein de l’enveloppe urbaine et donc dans des secteurs viabilisés, équipés, proches des services et des commerces. Rares sont les collectivités qui intègrent ces phénomènes spontanés dans leurs politiques d’urbanisme, mettant en synergie initiatives individuelles et projet urbain global..

Vue aérienne de la commune de Martillac en Gironde, qui s’est engagée dans une démarche BIMBY en 2014 (crédit photo : Denis Caraire)

Vue aérienne de la commune de Martillac en Gironde, qui s’est engagée dans une démarche BIMBY en 2014 (crédit photo : Denis Caraire)

À l’origine du BIMBY, il y a l’idée que les professionnels de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire puissent collaborer et « unir leurs forces » pour mieux produire la ville. Un certain fatalisme accompagne aujourd’hui les effets négatifs de la métropolisation, qui exclut les ménages primo-accédants et délaisse les territoires qui ne figurent pas dans l’aire d’influence d’une grande ville. Ce processus renforce aussi les contrastes dans les centres, avec d’une part des ménages de plus en plus riches et d’autre part une population captive du parc locatif, qui se paupérise. Dans ce contexte, faut-il renoncer à construire des logements abordables, conformes aux désirs des Français, à proximité des emplois, réseaux, commerces et services ?

Le WikiBimby rassemble les contributions de tous ceux et celles qui souhaitent explorer la piste du BIMBY et cherchent dans la densification douce des tissus d’habitat des solutions aux problématiques actuelles des villes et de leurs habitants.

Schéma : Les segments du BIMBY, filière courte de production du logement

Schéma : Les segments du BIMBY, filière courte de production du logement

Nous avons créé la rareté foncière dans le but louable d’enrayer l’étalement urbain. Or, l’urgence est aussi de loger les Français. Comment construire des logements abordables quand les derniers espaces urbanisables se vendent à prix d’or ? Contraintes de densifier fortement leurs « dents creuses » et leurs « espaces mutables », les collectivités acquièrent à grand frais du foncier souvent mal situé (qui souhaiterait vivre en bordure de voie ferrée ou d’autoroute, ou sur une ancienne friche industrielle dépolluée à la va-vite ?) sur lequel elles initient de grandes opérations d’aménagement.

La conception puis la réalisation de ces programmes nécessitent l’intervention d’un grand nombre d’acteurs (bureaux d’études, aménageurs, promoteurs, bailleurs…), raison pour laquelle, contrairement à une idée reçue, la production de logements collectifs ne génère pas d’économies d’échelle. La multiplication des intermédiaires entraîne des coûts de coordination, des frais financiers, des frais de commercialisation, sans compter les marges de ces différents acteurs, qui se répercutent sur les prix de sortie des logements. Pour le ménage primo-accédant, la solution la moins chère reste encore d’aller faire construire la maison de ses rêves à 40 kilomètres de son lieu de travail. Ce que nous cherchons précisément à empêcher au nom de la préservation des terres agricoles et naturelles et de la lutte contre le réchauffement climatique…

BIMBY : L’émergence d’une filière courte de production de la ville

À la manière des circuits courts dans l’agriculture, BIMBY rapproche le « producteur » foncier du « consommateur » : un particulier acquiert un terrain à un autre particulier, fait construire sa maison et y habite. Les coûts de construction au mètre carré de cette « filière courte de production du logement », qui ne nécessite ni acteurs intermédiaires, ni maîtrise foncière, sont inférieurs à ceux pratiqués dans les lotissements ou les ZAC.

Construire dans son jardin : mettre en synergie intérêts individuel et intérêt général

Construire dans son jardin : mettre en synergie intérêts individuel et intérêt général

L’analogie avec l’agriculture ne s’arrête pas là :

  • Le BIMBY est par essence une filière « locale » : la production d’une ou deux maisons sur un terrain issu de la division parcellaire n’intéresse pas la promotion immobilière, dont le modèle économique ne permet pas la rentabilité de ce type de projet. Le BIMBY fait donc intervenir des professionnels locaux, générant de la richesse et des emplois directement dans les territoires concernés. Cette filière courte (qui rassemble les constructeurs, mais aussi les urbanistes, architectes, agents immobiliers, notaires, géomètres…) doit émerger et se structurer pour devenir une alternative crédible à la promotion immobilière, produisant massivement du logement abordable et désirable.
  • La qualité des réalisations et le service rendu au consommateur redeviennent des notions centrales : la maîtrise d’ouvrage revenant à l’habitant, ces logements ne peuvent être produits que « sur-mesure ». Cet urbanisme repose sur l’accompagnement des ménages bâtisseurs par des professionnels dont le rôle est de répondre à une commande précise, et non de construire un logement pour un « ménage-type » qui n’existe pas, dans une logique de rentabilité. Chaque projet individuel constitue une occasion pour ces professionnels de se réapproprier leurs savoir-faire et de rendre un véritable service aux habitants. Loin des « gestes architecturaux » et des grandes opérations d’aménagement, le marché de la « jolie petite maison individuelle » n’attend que des architectes et constructeurs talentueux et audacieux pour se développer.
  • Ce mode d’urbanisation n’est pas nouveau : il a produit les formes denses de nos centre-villes et centre-bourgs. La construction de logements individuels en diffus constituait par le passé une solution universelle et la méthode de développement de nos villes et villages. Le « BIMBY » est donc à l’urbanisme ce que l’« agriculture biologique » est à la production alimentaire : quelque chose que nous avons toujours fait, que l’industrialisation a relégué au second rang et qui revient aujourd’hui en force parce que des problèmes nouveaux se posent et ne trouvent pas de réponse dans les pratiques les plus courantes.

Une recherche & développement collaborative, pour inventer les outils de demain

Si cet urbanisme en filière courte a toujours existé, le contexte, lui, a changé, appelant des réponses innovantes à des problèmes inédits (crise du logement, lutte contre l’étalement urbain, phénomène de métropolisation et donc de concentration des emplois…) Pour faire éclore cet urbanisme novateur, les dispositifs, méthodes et outils à déployer sont encore largement à inventer, puisqu’ils seront, on le devine, radicalement différents de ceux que nous avons mobilisés pour produire l’urbanisation du vingtième siècle. La filière courte et locale de production du logement n’émergera pas par l’injonction : seuls les acteurs professionnels locaux pourront structurer des réseaux ancrés dans les territoires.

Réunion des acteurs opérationnels du BIMBY en urbanisme, octobre 2014 (crédit photo : Denis Caraire)

Réunion des acteurs opérationnels du BIMBY en urbanisme, octobre 2014 (crédit photo : Denis Caraire)

Pour cette raison, le caractère open source du BIMBY a été affirmé dès le départ : pour concevoir, développer et améliorer l’urbanisme du futur, quoi de mieux que de collaborer avec l’ensemble des professionnels qui travaillent au quotidien sur les tissus d’habitat individuel et les questions foncières, immobilières, économiques, sociologiques, architecturales, urbanistiques qui leur sont inhérentes ?

L’open source, un modèle de développement qui fait déjà ses preuves

La transformation du BIMBY en démarche formellement libre n’a pas été une mince affaire. L’idée de mettre à la disposition de tous, et donc notamment d’acteurs privés, les résultats d’une recherche publique financée par l’ANR, n’a pas fait l’unanimité. L’objectif de ce type de projet n’est-il pourtant pas d’aboutir à des solutions concrètes et efficaces, partagées et enrichies par le plus grand nombre et générant in fine de l’activité et de l’emploi ?

Pour protéger le caractère libre du BIMBY, et pour qu’aucun acteur public ou privé ne s’en arroge l’exclusivité, une marque a été déposée, la rendant collective et librement utilisable par tous, selon un modèle de développement open source. Un règlement d’usage minimal fixe les règles à suivre ; les licences Creative Commons organisent la diffusion et le partage libre des contenus utilisant le vocable « BIMBY ».

Ce développement open source fonctionne et a permis la diffusion large du concept BIMBY : en témoigne le succès retentissant du colloque de clôture du programme de recherche ANR (dont les actes sont librement consultables, appropriables et réutilisables par tous), qui s’est tenu en 2012 et a rassemblé plus de 70 intervenants et près de 600 participant. L’excellente présentation de la démarche BIMBY par Christian Rolando à l’Openpi, ou encore les dizaines de mémoires d’étudiants en urbanisme, architecture, paysage sur le sujet sont aussi des preuves tangibles de ce succès.

Au-delà d’une simple diffusion des idées, le BIMBY essaime dans les territoires au travers d’expérimentations locales : partout en France, des acteurs publics (CAUE, collectivités, écoles d’architecture, SCOT…) et privés (bureaux d’études) ont initié leurs propres démarches, séduits par les perspectives qu’ouvre le BIMBY et désireux d’expérimenter eux-mêmes les outils et méthodes à mettre en œuvre. Sur la toile, le réseau « BIMBY+ » rassemble plusieurs centaines de professionnels qui partagent leurs réflexions, et un groupe de travail des « acteurs opérationnels du BIMBY en urbanisme », composé d’une quinzaine de professionnels, se réunit tous les six mois pour faire avancer ce processus continu de recherche et développement.

Le WikiBimby : à vos contributions !

Support de ce projet collaboratif, la plateforme WikiBimby a été lancée dans l’objectif de mettre à disposition les savoirs et de faciliter le partage et les échanges entre professionnels, acteurs de la recherche, étudiants… Elle recense des travaux prometteurs qui ne demandent qu’à être développés, approfondis, complétés, pour mettre le BIMBY au service de la production de logements abordables, désirables, et sans étalement urbain, mais aussi de l’amélioration de l’efficacité énergétique du parc de logements existants, de la revitalisation des quartiers vieillissants, de l’adaptation de l’habitat tout au long de la vie des ménages et notamment au moment de la vieillesse, du maintien des emplois dans le périurbain et le rural… La filière courte de production du logement n’attend que vous pour se développer !

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L'auteur
Anaelle Sorignet

Urbaniste, diplômée de Sciences Po Toulouse et de feu l’Institut d’Urbanisme de Paris. Chargée de projet chez Villes Vivantes, startup d’urbanisme spécialisée dans l’accompagnement de l’évolution des tissus d’habitat pavillonnaire.

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