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En Chine, créer une ville « durable » de 117 km² en seulement 3 mois…

Suite à mon premier billet intitulé « Être urbaniste en Chine : entre rêve et réalité » exposant mon environnement de travail, plusieurs lecteurs attendaient la suite concernant mon expérience professionnelle et notamment les différents projets urbains sur lesquels j’ai pu travailler.

Parmi tous ces projets, un m’a particulièrement marqué et ce pour plusieurs raisons. Le projet en question portait sur la planification d’une « Livable Healthy City » de 117km2. L’envergure, la rapidité mais aussi la compétition associées à ce gigantesque projet sont les raisons pour lesquelles ce dernier représente une de mes plus enrichissantes expériences professionnelles Chinoises.

Une des particularités de ce projet était que nous étions en concurrence avec 3 autres compagnies : une société de Pékin, une de Sydney et Tongji Intitute and University (Shanghai). En Chine, il est en effet de plus en plus rare que les grands projets urbains soient placés sous le signe de la compétition. C’est une pression mais surtout une excitation supplémentaire tout au long de la réalisation du projet. Côté logistique, nous avions 3 mois pour concevoir ce projet de ville « saine et habitable » et je faisais partie d’une équipe constituée de 5 urbanistes. Lorsque l’on m’a annoncé la superficie du projet, j’ai tout d’abord douté de mes capacités en mathématiques (en Chine, l’unité est le square kilometers, il est donc nécessaire de faire une petite conversion), puis après avoir demandé confirmation, j’ai [commencé] à réaliser ! 3 mois (heures supplémentaires comprises !) pour créer une petite ville (comparée à l’échelle du pays) : une nouvelle dimension, une réelle excitation, un nouveau challenge, bref : « On commence quand ?? »

Le projet se trouve dans la province du Henan, à 15km à l’ouest du centre-ville de Zhengzhou. L’agglomération de Xingyang (au sein de laquelle se situe le projet) compte plus de 590 000 habitants et s’étend sur environ 908km2. Elle est considérée comme le jardin de l’ouest de Zhengzhou.

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Un projet urbain en Chine se déroule toujours selon différentes étapes successives : diagnostic transversal et approfondi du site, redéfinition de la demande du client, élaboration des concepts et enjeux clés, études de cas nationales mais surtout internationales, réalisation de plans de développement dessinés puis informatisés, zoom et détail de chaque zone, sélection d’images de référence et enfin intégration d’images aériennes « Bird’s eye view » du futur projet, réalisées par une société spécialisée.

Il m’est malheureusement impossible de vous décrire l’intégralité du projet qui fut restitué dans une brochure de 150 pages.  En voici donc les grandes lignes.

Suite au diagnostic détaillé du site, aux déséquilibres territoriaux soulevés et à la redéfinition de la commande du client (créer une ville à tendance « durable »), notre projet s’est articulé autour de différentes stratégies en fonction des multiples composants urbains :

  • Economie : Promouvoir un développement durable et sain à travers l’implantation d’industries liées à la santé et au domaine médical.
  • Logement : Développer une communauté destinée aux retraités, une dédiée au bien-être, une écologique, une tournée vers le sport et une série de communautés liées à la santé afin de créer un modèle d’espace de vie sain.
  • Services de santé : Créer un véritable centre médical régional de large envergure.
  • Education : Implanter des établissements scolaires offrant un large choix de formations destinés à tous les âges et pour tous les niveaux.
  • Culture, divertissement et loisirs : Construire un large lieu de rassemblement culturel et scientifique. Allier loisirs et culture.
  • Transports : Créer un véritable nœud ferroviaire urbain associé à un efficace réseau de transports en commun.
  • Espaces publics : Faire de l’écologie le fondement de la ville, à travers une réflexion sur l’agencement rationnel des places urbaines, des parcs, du système hydraulique et bien d’autres éléments constitutifs de l’espace public.
  • Environnement, énergie et écologie : Optimiser le développement industriel par le biais des nouvelles économies d’énergie mais aussi par une sensibilisation à ces nouvelles énergies dites renouvelables.

Afin d’appuyer nos stratégies, nous avons réalisé pour chacune de ces thématiques, une étude de cas nous servant de base pour la suite du projet.

La structure fonctionnelles définie était la suivante : « Un axe principal, deux axes secondaires, une ceinture, cinq zones »

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1 axe principal : axe Nord-Sud ayant pour fonction principale le développement urbain, constitué de commerces, de bureaux, de salles de conférence, de services médicaux, de logement et d’autres éléments relatifs aux fonctions urbaines.

2 axes secondaires :

  • Un anneau ou une couronne composée d’espaces paysagers, de zones de loisirs, de parcs écologiques dans les zones humides, d’un espace touristique moderne.
  • 1 ceinture : une ceinture urbaine écologique

5 zones :

  • Zone centrale de la ville jardin moderne : elle est constituée d’une zone de développement urbain intégrant des bureaux administratifs et commerciaux, des services de santé, des établissements scolaires, des logements avec jardins et d’autres composants.
  • Zone dite rurale, agricole et pastorale : elle a pour thème principal le paysage rural, l’organisation de visites de terres agricoles et naturelles, associées à des logements
  • Parc industriel de technologies vertes : Parc qui repose sur des industries novatrices et créatives respectueuses de l’environnement, associé à des parcs écologiques au sein des zones humides.
  • Zone de services de santé et de bien-être : en combinaison avec le paysage environnemental existant (présence du fleuve), construire un quartier dédié au bien-être et à la santé (zone de villégiature)
  • Espace paysager dédié au tourisme et aux activités de loisirs : exploiter les richesses paysagères existantes et ainsi créer une véritable aire de loisirs combinant tourisme, paysage et autres fonctions.

Passons à une des parties qui fut l’une des plus excitantes à mon goût : la « planification ». Chaque personne de l’équipe a ainsi réalisé son propre « zoning land use planning » (équivalent PLU), argumenté ses choix puis après de nombreux échanges, nous avons défini un seul et unique document synthétisant l’ensemble.

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La planification ainsi que le réseau viaire et les espaces publics, entre autres, ont également été cartographiés.

La superficie du projet était telle qu’il a été défini 3 phases de développement (court, moyen et long terme) : 14km2, 45km2 puis 117km2.

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Les différentes phases ont été scrupuleusement étudiées et expliquées à travers de nombreux documents cartographiques représentant les stratégies urbaines de développement (structure fonctionnelle, espaces verts, équipements publics, réseau viaire, « Master Planning » =  plan directeur, …).

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Chaque phase a aussi fait l’objet d’une analyse détaillée de chaque zone, de chaque « area » illustrée d’images de référence, permettant au client de davantage visualiser le rendu du projet, d’un point de vue architectural.

Enfin, comme pour tout projet, nous avons fait appel à une société privée afin d’intégrer des Bird’s Eye View , dernier argument de poids pour faire rêver le client. Voici la Bird’s Eye View du projet dans sa totalité (117km2).

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Une fois le projet définitivement terminé (il a parfois fallu venir travailler certains week-end…), une partie de l’équipe a eu la lourde charge d’aller présenter notre travail aux membres du gouvernement de la province chinoise concernée (Province de Henan). Le résultat ne s’est pas fait attendre, nous avons terminé en …. seconde position. C’est le projet de Tongji Institute and University qui a été retenu. A noter que nous n’avons malheureusement pas eu connaissance des projets concurrents. Le gouvernement a salué notre travail et notamment la qualité du design de notre projet. Il nous a été brièvement reproché de ne pas avoir assez pris en compte certains éléments, certaines directives dont nous n’avions tout simplement pas eu connaissance ! En Chine, comme partout ailleurs, le « gong xi » (réseau) est extrêmement important. Le gouvernement de la province du Henan avait l’habitude travailler avec Tongji Institute University, cette dernière a donc visiblement eu des informations et des directives plus précises que les autres compagnies.

Malgré tout, toute l’équipe fut félicitée. Même si notre projet n’a pas été retenu, cela reste une expérience très enrichissante pour tous. A l’époque les projets urbains axés sur des questions environnementales et médicales se faisaient rares en Chine. Aujourd’hui, beaucoup de projets intègrent cette dimension environnementale et écologique. Finally !!

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L'auteur
Christelle

Planner - Urban Designer - Urbaniste Junior

3 Commentaires

  • 30 janvier 2015 à 13:00

    Projet très « routier » pour une ville qui se veut écologique.
    Une spatialité pauvre, alors que nous sommes au pays des Hutongs et des Hakkas.
    Comme certaines parties de l’Europe (notamment la France), la Chine ne sait plus faire des villes.

    Où flâne-t-on ? Où se retrouve-t-on ? Le seul espace qui soit encore structuré de manière intelligente est le centre commercial.

    Une ville se compose non pas de bâtiments additionnés, mais d’espaces articulés, les constructions étant la matière avec laquelle ces espaces (publics ou privés) se structurent.
    Cette position va à l’encontre de la doctrine « moderniste », à dessein, car celle-ci a fait primer la logique industrielle du bâtiment à la spatialité urbaine, et la voiture sur le piéton. Aujourd’hui, alors que les outils numériques permettent de faire du sur-mesure à moindre coût (préfabrication, usinage numérique), la modularité et la répétitivité n’ont pas plus de sens qu’un urbanisme automobile.

    Revenir en arrière ? Non, tout simplement apprendre de nos erreurs de de nos découvertes.

    Il faut pour cela prendre conscience de l’effet des villes sur les structures sociales et politiques, du lien étroit entre intensité et beauté urbaine.

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  • 3 février 2015 à 01:16
    YacineA

    Cela me confirme que c’est quand quand même une mauvaise idée en fait de confier la planification de tout une ville à .. quelques personnes.
    Parce que le projet de ne terminera pas de toute façon comme on le voulait, mais c’est un organisme complexe qui change tout les jours.. qui met des années, des décennies à devenir quelque chose, a se faire une atmosphère, une histoire.. et donc évolue au gré des mouvements de populations, d’entreprises, des mentalités. C’est ca qui fait la beauté d’une ville, c’est cette sédimentation un peu libre aussi, le temps.
    Mais c’est vrai que c’est excitant, concevoir tout.. dans ce cas, autant essayer de pas crééer un immense déja-vu, dsl c’est l’impression que ca me donne, de ville nouvelle, grands axes, zonages spécialisés, grandes distances grands espaces emplis de verdure entre tout les batiments routes larges, beaucoup de vert mais au final pas assez de proximité, urbaine, favorisant les motorisés plutot que les piétons.
    Ouais, encore un plan réalisé en posant des carrés de manière géométrique sur un immense fond vert…
    Pour moi l’urbanisme est mort. il n’y a plus de rêve. que du compromis.
    pas trop haut, pas trop mineral, pas trop grand, pas trop proche (donc grand horizontalement, cest la tendance depuis 1950.. mais vous verrez quand on aura plus de petrole .. faudra se taper des heures à pied a cause de ses satanées distances dans les banlieues modernes..)

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  • 24 février 2015 à 14:39

    Un article-reportage glaçant de naïveté.
    L’auteur ne se rend pas compte de la banalité du projet auquel elle à participé ?! Elle en parle en plus comme d’une véritable ville écologique alors que le titre de l’article est déjà tellement ironique !
    Sans condamner ces pratiques et statuer de leur ineptie, il conviendrait au moins d’être un peu critique sur ce projet.

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