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Hipsters, classe créative et gentrification

La banalisation du style de vie « hipster » dans les grandes métropoles semble induire un phénomène de reconquête de certains quartiers populaires, investis par cette culture des « jeunes créatifs » et poussant un peu plus les classes les moins aisées, hors de ces mêmes quartiers. Fait indéniable ou simple spéculation médiatique, tâchons de démêler le vrai du faux à travers ces quelques lignes.

Un bref retour sur la notion même de « hipster » semble, en premier lieu, s’imposer. Une notion plutôt vague, jouissant d’un vrai succès populaire que l’on pourrait aisément décrire comme un nouveau sociotype, anti-conformisme et plutôt fourre-tout… S’il tire ses origines des années 1940, le hipster contemporain est, lui, un jeune individu urbain de classe moyenne le plus souvent créatif. Il tente de se démarquer du reste de la société par des marqueurs culturels (musiques, opinions, usages quotidiens, lieux culturels, …), vestimentaires et physiques.

Le hipster – le vrai -répond donc à un mode de vie très codifié, au sommet des tendances les plus branchées, friand de vintage et de culture « rétro« . Si bien qu’il engendrerait dans son sillage une transformation de l’économie locale. Ce dernier privilégie, entre autres, une consommation de proximité et on ne peut que le féliciter. Partout où se regroupent ces « jeunes créatifs« , ce sont donc de nouveaux lieux et de nouveaux usages qui fleurissent : outre la création de coffee shop plutôt branchés, on assiste plus généralement à une implantation accentuée des commerces de niches, extrêmement conceptuels.

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Êtes-vous un vrai Hipster ? – Les Chiffres d’Alfred

C’est d’ailleurs un article paru sur Slate.fr dépeignant l’une des dernières trouvailles en matière de commerce hipster approved qui m’a inspiré ce billet. Le dernier endroit en vogue dans le quartier branché de l’Est Londonien, Shoreditch, n’est autre qu’un bar à céréales baptisé Le Cereal Killer Café. Au menu, quelques 120 références différentes de céréales de marques venues du monde entier. Une nouvelle enseigne qui vient compléter l’offre hipster locale, après le Bar à Chat, l’atelier de tuning pour Fixies ou le Fab Lab disposant d’une imprimante 3D. Ainsi, cet endroit qui fut pendant de longues années un véritable repère de gredins, une concentration de bâtiments délabrés, de tavernes et d’autres maisons closes, se retrouve aujourd’hui trusté par les « supercréatifs« , élevant le niveau socio-économique de ce morceau de ville en modifiant ses valeurs symboliques. Certains voudrait y voir les bases solides d’une prospérité durable.

Pour d’autres en revanche, c’est la goutte d’eau de trop. L’ouverture du Cereal Killer Café agite ainsi la toile depuis plusieurs jours, rouvrant notamment un débat, vieux comme le monde, sur la gentrification. Les deux jumeaux à la barbe bien fournie, propriétaires du lieu, sont ainsi accusés d’être de véritables « gentrificateurs ». C’est l’interview d’un journaliste de Channel 4, qui a notamment mis le feu aux poudres, en posant la question suivante, à l’un des deux barbus : « N’est-il pas indécent de vendre trois livres un bol de céréales dans ce quartier ?« S’en suit un véritable malaise de la part du propriétaire et la fin prématuré de l’interview, ainsi que des milliers de commentaires anti-hipsters sur le web, pour cette vidéo devenue virale en un rien de temps.

En bref, les hipsters – ou autres créatifs – jettent leur dévolu sur les quartiers des grandes capitales où les loyers sont encore abordables, offrent à ces quartiers une nouvelle aura et déclenchent ainsi un renouveau de l’activité ainsi qu’une importante hausse des prix sur tous les aspects de l’économie locale, ce qui amène certains commerces conceptuels à vendre des bols de Chocapics pratiquement 4 euros l’unité.

Outre cet aspect commercial, c’est bien tout le quartier qui devient plus désirable, attirant ainsi des créateurs d’entreprise et les jeunes diplômés conquis par le caractère tolérant, ouvert et la réputation cool de l’endroit. Ainsi, depuis l’arrivée des hipsters à Shoreditch, un certain nombre de marques auraient exprimé leur intérêt pour une implantation future. Mais comme le souligne un agent immobilier local, ce regain d’intérêt a logiquement entraîné une hausse importante des prix de l’immobilier, qui auraient plus que doublé en à peine une dizaine d’années… Les habitants de ce quartier dénoncent ce processus de gentrification qui pousse les moins aisés à s’exiler.

Ce phénomène est également perceptible dans d’autres métropoles à travers le monde. A New-York ou Berlin par exemple, les « créatifs » ont transformé les quartiers populaires de Brooklyn et du Neukölln en de véritables foires de l’innovation hipster…

L’idée a de quoi séduire. Il suffirait ainsi de promouvoir des lieux et autres activités artistiques, créatifs et conceptuels pour régler les multiples problèmes locaux que rencontre généralement ces anciens faubourgs : de la délinquance à l’emploi en passant par le logement ? Un raccourci qui fera sans doute bien rire certains de nos lecteurs 😉 Sachez tout de même qu’aux Etats-Unis, cette notion aurait servi à formuler des politiques publiques, axant le développement urbain sur les infrastructures susceptibles d’attirer les « concepteurs » de nos sociétés contemporaines.

L’économiste Richard Florida est notamment devenu célèbre grâce à ses hypothèses sur la « classe créative », associant à cette notion une véritable théorie du développement économique des villes. Les jeunes branchés auraient entre les mains un incroyable pouvoir de revalorisation des lieux dévitalisés de nos métropoles mondiales.

Note : la notion de classe créative recouvre une grande variété de métiers et ne peut être réduite aux adeptes hipsters, bien qu’extrêmement créatifs, férus d’art et de  culture.

Pourtant, l’ensemble de la population ne bénéficie pas des retombées économiques de cette fameuse croissance apportée par la « classe créative ». L’exemple récent londonien, développé ci-dessus, en est bien la preuve. Les villes les plus en phase avec cette « classe créative » sont finalement celles dans lesquelles les inégalités sociales sont encore très présentes et celles qui connaissent les hausses les plus importantes du coût de l’immobilier résidentiel, entraînant une indéniable éviction des ménages à faibles revenus des quartiers dont ils sont originaires. Pour autant, le rôle du méchant doit-il être attribué aux « hipsters » envahissants ou à la disette sociale persistante ?

Ce qu’on peut retenir de tout ceci, bien plus que l’éternel débat sur la gentrification – qui subsistera avec ou sans les hipsters – c’est peut-être que les jeunes actifs contemporains choisissent désormais les villes dans lesquelles ils vont s’installer sur la base de nouveaux critères tels que l’ambiance urbaine, l’ouverture aux minorités ou la vitalité des activités culturelles. Peut-être plus que les traditionnels facteurs comme l’emploi, les niveaux de rémunérations, ou encore les infrastructures…

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L'auteur
Edouard Malsch

Urbaniste, Géographe, Co-Fondateur & Community Manager pour UrbaNews.fr.

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