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Les urbanistes sont-ils vraiment inutiles ?

Comme tous les bons professionnels de l’urbanisme conscients de devoir se tenir régulièrement à jour des évolutions du droit de l’urbanisme, j’ai consulté récemment le troisième numéro du Bulletin de Jurisprudence de Droit de l’Urbanisme annuel.

C’était un bon matin, toujours pressé d’embaucher pour contribuer, comme tous les jours, à la fabrique de la ville durable de demain. Et quelle surprise j’ai ressenti en lisant la rubrique des « libres propos » écrites par un avocat spécialisé, intitulés sobrement « Pour en finir avec les urbanistes » ! Vivement interpellé au point d’en oublier de finir mon café, j’ai finalement vécu assez durement cette matinée de travail, tant j’étais écrasé sous le poids de la remise en question. Les urbanistes sont-ils vraiment utiles ?

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Les urbanistes sont-ils vraiment inutiles ?

Car chacun le sait, l’urbaniste qui se respecte doit savoir se remettre en question, tant d’erreurs ayant été commises par le passé. Mais pourquoi faire exactement ? Et pourquoi est-ce finalement si difficile ? Reprenons les propos de l’auteur. Selon lui, les urbanistes sont aujourd’hui en proie à la dérive d’une nouvelle pensée unique qui semble complètement décrocher de la réalité. L’urbaniste serait une sorte d’ayatollah qui s’évertuerait à revendiquer « son » modèle de la ville, une ville parfaite, fondée sur la durabilité sociale, économique et environnementale. Derrière tout ça, l’urbaniste serait un consommateur inlassable de règles, planifiant à tout va pour tenter désespérément de « verdir » la ville, en contradiction même avec ses principes de sacro-sainte concertation avec l’habitant (forcé d’être en accord avec lesdites thèses) et de la compréhension des dynamiques locales.

L’auteur appuie son argumentaire sur les « diabolisations fondatrices », ces idées sur lesquelles l’urbaniste fonde aujourd’hui son action : la lutte contre l’étalement urbain au bénéfice de la sauvegarde des espaces agricoles et naturels, la volonté d’inflexion de l’usage individuel de l’automobile au profit de déplacements mixtes et non-polluants, et la lutte contre la délocalisation des activités commerciales dans les périphéries au profit des centres-villes. Forcément, nous autres urbanistes, avons été sensibilisés à ces grandes évolutions de la ville et des territoires allant à l’encontre de la durabilité de notre vivre-ensemble et de notre patrimoine naturel. A l’université, dans les bureaux et les couloirs, en réunion, en séminaire ou en formation, nous avons tous entendu cela. Cela semble découler du bon sens.

Les urbanistes sont-ils vraiment inutiles ? - Illustration - Archive ©DeuxDegrés

Les urbanistes sont-ils vraiment inutiles ? – Illustration – Archive ©DeuxDegrés

Contre ces idées de bon sens, l’auteur persiste et signe, en démontant tour-à-tour ces différentes idées par certains arguments, qui finalement méritent une attention. Les français plébiscitent la maison individuelle, pourquoi aller à l’encontre de cette aspiration sociétale, serions-nous finalement contre la liberté de chacun à disposer de ses choix en matière de modes d’habiter ? Les français aiment la voiture. Remarquez, je viens tous les jours au travail en voiture, en tant que bon périurbain. Pour beaucoup d’entre nous, le bus ou le vélo, ce n’est pas encore pour demain. Alors pourquoi aller à l’encontre du choix des uns et des autres à vouloir se déplacer comme ils l’entendent, et comment imaginer le devenir du monde périurbain et rural sans voiture ? C’est illusoire, du moins pour le moment. Et enfin, les grands centres commerciaux… Ne reflètent-ils pas des modes de consommation qui s’inscrivent logiquement dans l’air du temps, alors que plus que jamais, les individus entendent revendiquer leur libre-arbitre et posséder ce que bon leur semble ? A côté de cela, rien n’empêche les « consom-acteurs » de produits agricoles durables et autres biens issus du commerce équitable de faire un geste pour l’environnement. Généralement, pour ce faire, ils sont obligés de prendre leur voiture, eux aussi…

L’auteur insiste également sur l’idée d’une ville « Bisounoursland » appelée, dans les prochaines décennies, à constituer un espace de mixité sociale, où fleurissent les projets d’habitat participatif et où ont été éradiquées les logiques de ségrégation sociale. Tous les urbanistes savent pourtant que la mixité sociale ne se décrète pas, et que la démocratie participative n’engage que ceux qui y adhèrent… Quel urbaniste n’a pas déjà animé avec déception une réunion publique d’une poignée de personnes seulement ?

L’auteur en conclue que, l’esprit envahi d’idées préconçues sur la ville du futur, l’urbaniste impose aujourd’hui une vision punitive de l’aménagement aux décideurs politiques. Les municipalités sont lourdement sanctionnées en cas de non-respect des quotas de logements sociaux, et se voient imposer par le haut une organisation de la pénurie foncière sous couvert de lutte contre la disparition des terres agricoles… Leurs Plans d’Occupation des Sols se verront bientôt déclarer caduques, et ces mêmes municipalités se verront obligées de coopérer entre elles pour mettre en place de laborieux Plans Locaux d’Urbanisme Intercommunaux. A coup sûr, ces derniers constitueront de véritables usines-à-gaz dont les rapports de présentation indigestes et autres Projets d’Aménagement et de Développement (non) Durables, empilements d’individualités ou au mieux, ambassadeurs d’une consensualisme mou, contribueront encore un peu davantage à la déforestation de par leur consommation de papier… Au fur et à mesure de l’épaississement inéluctable du Code de l’Urbanisme, les urbanistes deviennent progressivement des comptables de l’espace, dégainant les calculatrices pour faire coïncider leurs projections démographiques avec les objectifs de consommation d’espace et de réinvestissement des « dents creuses »…

PLU ? © Urbanouille

PLU ? © Urbanouille

Tout cela semble effrayant. Après trois petites années d’expérience dans l’élaboration des documents d’urbanisme, je me suis senti désappointé par tant de remise en question. Quelle vision effrayante de cette profession d’urbaniste, présumée coupable de réitérer les erreurs passées d’une planification autoritaire qui n’avait pas su s’inscrire dans les territoires…

Pour autant, après quelques claques dans la figure, j’ai tenté un sursaut de courage. Quand même, quel culot ! Un juriste expert en autopsie du Code de l’Urbanisme, contributeur régulier à un périodique spécialisé en analyse du droit, qui ose crier à la boulimie législative et à l’autoritarisme des professionnels de l’aménagement ! Ceux-là même qui tentent désespérément de trouver un sens dans l’inflation législative de ces deux dernières décennies ! Non, définitivement, il n’est pas possible d’adhérer béatement à ces propos d’un juge et parti. Mais alors, que penser ?

Et c’est à ce moment précis que je me rappelle de cet ancien directeur de mission qui me disait la chose suivante : « l’urbanisme, c’est du bon sens, de la logique ». Du bon sens ! En relisant les propos de l’auteur, j’aurais tendance à penser, avec du recul, que ce principe est en train de se perdre dans les méandres du développement durable tel que vu par les plus fanatiques du Code de l’Urbanisme incapables de mettre en pratique le droit avec bon sens. Que dire de ces professionnels, qui, faute de bien savoir maîtriser les expressions « trame verte et bleue » ou « résilience écologique » et autres concepts dans l’air du temps, préfèrent les placer dans chacune de leurs prises de parole pour justifier laborieusement leur action déconnectée des attentes individuelles et collectives ? Je me permets de dire cela, humblement je l’espère, car le discours de certains de mes aînés m’ont parfois prêté à sourire.

Vous avez dit Bon Sens ? © Urbalol & Urbanouille

Vous avez dit Bon Sens ? © Urbalol & Urbanouille

Que dire encore de ces professionnels, qui méprisent inconsciemment des milliers d’individus en opposant l’harmonie sociale et environnementale des éco-quartiers à l’entre-soi et le repli des lotissements pavillonnaires ? Ne sommes-nous pas en train de substituer un mauvais paradigme (le pouvoir de croissance infinie des villes) à un autre paradigme (la ville-village, solidaire et écologique, déconnectée de toute réalité sociétale), qui s’annonce tout aussi insatisfaisant ?

Face aux réflexions de cet auteur qui ne manquent pas d’intérêt bien que critiquables (c’est de « bonne guerre » entre urbanistes et juristes), l’urbaniste doit impérativement prendre conscience que l’exercice de remise en question, loin du complexe d’infériorité, est sain et nécessaire. Le bon sens propre à nous autres, « médecins généralistes » de la ville, est d’agir le plus justement possible en conciliant les impératifs de la transition écologique et de la cohésion sociale avec une imprégnation réelle des mécanismes qui animent notre société et de ses aspirations. Considérant que la ville est le produit de cette société, il semble donc indispensable de ne pas tomber dans l’écueil d’une planification systématique et autoritaire.

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68 Commentaires

  • 28 juillet 2014 à 18:41

    Cette tribune est avant un coup de provocation à 1€ d’un juriste senior qui a sévi et s’est frustré au sein du Ministère de l’équipement. Il confond les urbanistes avec les fonctionnaires de ce Ministère qui sont ingénieurs des eaux, des ponts et des forêts (IPEF), ingénieurs des travaux publics de l’Etat (ITPE) et Architectes-Urbanistes de l’Etat (AUE)…

    Le Ministère de l’équipement (aujourd’hui ministère de l’écologie) est le dernier endroit où l’urbanisme et partagé entre plusieurs professions ou pratiques professionnelles.

    Sylvain Pérignon ignore royalement ce que son les urbanistes, voilà tout.

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    • 28 juillet 2014 à 20:04

      Tout-à-fait d’accord avec vous sur la confusion sous-entendue par le texte entre les corps de métier… M. Pérignon rappelle peut-être involontairement que la profession d’urbaniste n’est toujours pas bien comprise, même chez les pros de l’aménagement.

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      • 17 septembre 2014 à 21:03
        Pierre

        La définition de l’urbaniste comme « médecin généraliste de la ville » me prête à sourire !
        Moi je le définirais davantage comme « communicant de la ville », celui qui est la pour donner une image de marque à n’importe quoi, maniant tous les concepts possibles et imaginables, tels l’éco-quartier, pour vendre les produits conçus et fabriqués dans l’intérêt des grands groupes du BTP.
        Quel est leur intérêt principal : la rentabilité au m² !
        Le rôle que se donne l’urbaniste en général (ou plus largement du faiseur de règles urbaines qu’est l’urbaniste) ? Lutter contre l’étalement urbain en limitant l’extension pavillonnaire et en favorisant un mythe de la densité et de la proximité. (le PLU en fait)
        Ca tombe bien, la rareté foncière et la densité ce sont justement ce que cherchent les grands groupes du BTP pour maximiser leurs profits
        Sauf que les gens, naturellement et depuis toujours cherchent de l’espace. Le mythe du pavillonnaire d’aujourd’hui, c’est le possible du pauvre qui veut faire comme le bourgeois avec son domaine à lui depuis des siècles et des siècles …
        Mais alors comment vendre la perte d’espace et un entassement de familles dans des appartements à plusieurs étages? C’est là qu’intervient l’urbanisme comme communicant avec ces concepts vides de nature en ville, de proximité ou encore de lien social pour faire oublier la promixuité et l’aspect cages à lapins de nombreux éco-quartiers …
        Et l’éco-quartier, dans le genre connerie d’urbaniste qui profite d’abord et avant tout aux intérêts de grands groupes monopolistiques, c’est un peu l’arbre qui cache la forêt dans le genre financiarisation de la ville … (on peut aussi citer comme symbole la patrimonialisation des centres villes pour attirer les enseignes commerciales multinationales)

      • 2 février 2015 à 17:59
        Mathieu PIRIOU

        Pour ma part, la définition de « médecin de la Ville » me semble très juste. Nous ne sommes pas des communicants, ça se saurait.
        Plus précisément parce que, plus que les autres peut être, nous savons qu’un quartier ne devient pas un écoquartier parce qu’on le veut, met des arbres, des noues et qu’on dit qu’il y aura pleins de générations qui vont co-exister. Ce discours est réservé au politique. L’urbaniste et le politique qui parle d’urbanisme ne sont pas les mêmes, les amalgames sont faciles, souvent incomplets, rarement juste. De plus, comme un biologiste ou un menuisier, on ne s’autoproclame pas urbaniste.
        Tout le monde à son avis sur la ville, les carrefours mal foutus, les barres de logements sociaux dégueulasses ou les centres commerciaux périphériques. Les constats, pour beaucoup, l’urbaniste a les mêmes que la population, en revanche, les solutions différent et sont bien souvent issus de retour d’expérience réussis ou de simples « bon sens » sans sombrer dans la facilité. Le médecin qui prescrit des antibiotiques pour une rhume ne serait pas un bon médecin, idem pour l’urbaniste.
        Enfin, oui, les lotissements de maisons individuelles posent de nombreux problèmes et coutent cher au plus grands nombres, sont de moins en moins entretenus par manque de fond public ayant retrocédé les voiries et réseaux par facilité en ce disant que c’est la collectivité qui paiera. Papy et mamy ayant aimé leur grands terrains ne sont plus capables de l’entretenir et leur bien devient invendable à une famille plus ou moins jeune au vu du prix/m² du foncier… Ce n’est pas une lubie, c’est un fait. C’est une réalité, encore plus au USA qui aujourd’hui s’en mordent les doigts et pensent (mieux vaut tard que jamais) à mettre en place un minimum de transport en commun pour les victimes du rêves américain… Pour autant et sous une autre forme que les générations précédentes, la maison individuelle reste le souhait de beaucoup qu’il est nécessaire de satisfaire. Que fait on alors ? La solution est ici complexe, à adapter à chaque contexte, c’est précisément un savoir faire généralement sur plusieurs années, en sachant que nous n’avons pas l’assurance à 100% que ça marchera.
        Non, nous ne sommes pas tous des beatniks rétrogrades et la remise en question perpétuelle que l’on doit s’imposer est justement une qualité de notre métier. C’est précisément là on se situe la justesse de l’article de Mathieu.

  • 30 juillet 2014 à 14:46
    musslin

    Il serait assez normal de citer votre source

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  • 4 août 2014 à 13:50
    Isabelle

    Le seul fait de poser la question nous fait douter…

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  • 5 août 2014 à 15:22
    shee

    Je suis ravie d’être tombée sur votre article, après avoir même été désarconée en tombant de bon matin sur l’avant-propos de ce fameux bulletin!

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  • 18 août 2014 à 15:46

    Si, faute d’urbanistes, à quoi ressemblerai la ville ?

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  • 1 septembre 2014 à 14:50

    Très intéressant ce post, merci pour le partage d’informations

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  • 23 mai 2015 à 08:38
    NSVL

    Tout à fait d’accord sur la remise en question.

    Par contre vous ne dites pas que la thèse que vous citez s’appuie sur une méconnaissance totale de l’action de l’urbaniste :

    « pourquoi aller à l’encontre du choix des uns et des autres à vouloir se déplacer comme ils l’entendent… » -> l’urbaniste cherche précisément à permettre aux piétons et aux cyclistes de se déplacer dans des conditions correctes, ce qui reste quand même la première des libertés!!!

    « les français aiment la voiture » -> les français aimeraient en fait surtout pouvoir se déplacer comme ils le souhaitent, c’est à dire aussi en vélo ou à pied!!

    « les français aiment les maisons individuelle » -> oui tout le monde veut un air pur, pas de bruit, peu de voiture dans sa rue, et pas trop de voisins! Et quand 12 millions de Francilien veulent ça dans les 12000km² de l’ile de France, l’objectif de l’urbaniste c’est précisément de trouver la moins pire des solutions!

    Avec le même raisonnement, on pourrait dire que les policiers sont inutiles sous prétexte qu’ils répriment la « tendance naturelle des gens à se taper dessus mutuellement »!

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