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Japon : atterrir sur la mer [Impressions Européennes sur la Ville Japonaise]

Arrivée au Japon par la voie des airs, par une nuit d’octobre.

Vue d’en haut la ville d’Osaka ressemble à un joyau scintillant, contraste frappant avec le noir encre des montagnes inhabitées et de la mer entourant le pays. Avec plus de 70% de sa superficie totale (377 825km² [1]) occupée par le relief [2] et peuplée de plus de 127 millions d’habitants [3], le Japon a rapidement vu ses plaines s’urbaniser, étouffer.

Pour répondre au manque d’espace, l’expansion vers la mer a été retenue. Depuis la fin des années 50, les terre-pleins appelés umetate-chi ont peu à peu grignoté les étendues d’eau salée, transformant la côte japonaise en figures géométriques propres.

L’aéroport d’Osaka est sûrement l’exemple le plus surprenant de cette conquête spatiale. Car si les expansions maritimes sont aujourd’hui couramment présentes dans le paysage japonais, ce ne sont que des renforcements d’îlots ou d’avancées de terre : un concept développé à partir du XVIIème siècle avec la première « île artificielle » Dejima dans la baie de Nagasaki.

KIX (Japan National Tourism Organisation)

Le site sur lequel est implanté l’aéroport international du Kansai a été, quant à lui, entièrement créé ex-nihilo dans la baie d’Osaka. En effet, Itami, son ancien aéroport, s’est vu rattrapé et encerclé par l’avancée de la ville, et n’était plus en capacité de répondre aux besoins de transport de la région.

Le mécontentement des riverains face aux nuisances sonores et l’impossibilité de construire une aussi grosse infrastructure dans une autre préfecture, ont poussé les autorités à se concentrer sur un projet dit « positiviste [4] » repoussant les limites d’urbanisation établies jusqu’à présent. Le nouvel aéroport sera construit en mer et sera, de cette façon, opérationnel vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept sans nuisance pour les riverains.

Après une dizaine d’années d’études, le phasage de réalisation s’est échelonné de 1987 à 1994 avec dans un premier temps la délimitation de l’île artificielle par une digue en mer, puis par une étape d’assèchement du site et enfin par la construction du terminal et de l’unique piste servant au décollage et à l’atterrissage. L’île de quatre kilomètres de long et d’un kilomètre de large, est aujourd’hui reliée à la terre ferme par un pont de trois kilomètres à deux étages, séparant le flux routier du réseau ferroviaire. L’aéroport fut mis en service en 1994.

En 1999, un projet de deuxième piste sur une nouvelle île voit le jour pour permettre à l’aéroport de renforcer sa position dans le transport de marchandises, avec une mise en avant du caractère maritime unique de l’aéroport qui permet un déchargement directement de l’avion aux bateaux. Mais surtout cette deuxième piste devait être une sécurité, dédiant la première île au décollage et la seconde à l’atterrissage. L’idée fut qu’elles se soutiendraient mutuellement en cas de panne sur l’une des pistes. Après huit ans de travaux, et malgré des investisseurs frileux, la deuxième île artificielle, indexée au premier terminal, est mise en service.

Développement de la deuxième île (site officiel du Kansai International Airport)

La complexité technique du projet a exigé la participation des meilleurs ingénieurs de l’époque. En effet, la préfecture d’Osaka se trouve dans une région où le risque de séisme et de typhon est particulièrement élevé. Pourtant, malgré la puissance du séisme de Kobe en 1995 et son épicentre à moins de 20 kilomètres de l’aéroport, ce dernier n’a même pas eu une vitre de brisée. Trois ans plus tard, un typhon avec des vents allant jusqu’à 200 km/h n’a pas non plus inquiété l’infrastructure aéroportuaire.

Un des défis majeurs de cette construction a été d’entraver le phénomène d’enfoncement de l’île artificielle. En effet, reposant sur un sol composé d’argile (couche molle et spongieuse), les strates supérieures ont été drainées, mais les strates inférieures ont faibli plus tôt que prévu. A la célébration de son cinquième anniversaire, la première île s’était enfoncée sur plus de huit mètres, ce qui était la prévision pour 40 ans. Après, entre autre, le renforcement des 900 colonnes de soutient, l’enfoncement s’est aujourd’hui stabilisé à cinq centimètres par an. En ce qui concerne le deuxième projet, de nouvelles solutions ont dû être mises en place pour stabiliser cette nouvelle île qui se trouve à 200 mètres de la première et qui s’enfonce à un rythme différent.

D’ailleurs l’American Society of Civil Engineers décernera à l’aéroport international du Kansai l’un des 10 prix Civil Engineering Monument of the Millennium en 2001.

Kansai international Airport (site officiel)

Cette démonstration technique nous ferait presque oublier notre intérêt urbanistique pour le concept d’habiter la mer. Tout comme les Pays-Bas avec ces polders [5], le Japon se sert depuis longtemps des territoires cachés pour se développer. Aujourd’hui, ce moyen d’expansion n’est plus inédit, même s’il reste parfois surprenant comme les îles artificielles à Dubaï ou au Qatar.

Des prouesses comme celles ci nous prouvent que « tout ce qu’un homme est capable d’imaginer, d’autres hommes seront capables de le réaliser. » (Jules Verne) et nous amène à nous questionner sur leurs limites.

Nous ne cessons d’entendre que notre planète a atteint ses limites, que le développement humain doit évoluer pour ne plus affaiblir notre environnement et pour protéger notre futur. Pourtant nous  continuons de nous développer et de nous approprier de nouveaux territoires, sans pour autant changer notre façon de procéder.

L’aéroport international du Kansai a beau posséder une charte environnementale dite très pointue : utilisant des matériaux recyclés, possédant son propre centre de tri et d’incinération, et réalisant des études d’impacts environnementales avant toutes constructions ; ce n’est que de la poudre aux yeux pour certains. Nous savons que la construction d’une telle infrastructure a de toute façon eu des conséquences importantes sur l’écosystème marin, sans parler de la transformation drastique du site et de ses aménagements contre-nature. Leur charte s’apparente à une goutte d’eau dans l’océan, surtout lorsque l’on sait que l’île sert aux transports aériens, gros consommateurs de pétrole.

Sky gate bridge of Kansai International Airport (Corbisimages.com)

Le Japon est un pays qui accepte difficilement le changement, et dont la lourdeur administrative empêche la rapidité d’action [6]. Le développement sur la mer semble régulé par les besoins économiques. En attendant, aucune garantie n’est certifiée pour l’environnement, aucun changement drastique de comportement n’est signifié pour se développer de façon durable.

Le Japon continue de fasciner l’occident par ces avancées techniques et technologiques mais n’est pour l’instant pas un modèle de pays durable.


Notes

  1. Populationdata.net – Le Japon (vu le 10/01/2012). A titre de comparaison, la superficie de la France métropolitaine est de 551 695 km²
  2. Encyclopédie Larousse – La géographie du Japon (vu le 10.01.2012)
  3. Populationdata.net – Le Japon (vu le 10.01.2012)
  4. La forme positiviste voit dans la mer un vaste terrain de développement agricole et urbain, contrairement à la forme catastrophiste qui s’appuie sur les inquiétudes liées au changement climatique et à la disparition de terres. F BELLANGER, Atelier Transit City, 2009
  5. Différent des terre-pleins, cette technique consiste à assécher les terres.
  6. Il suffit de parler aux expatriés de leur travail dans les sociétés japonaises pour que s’exprime le malaise de ne pouvoir faire des suggestions sans détour. Au Japon, il est très important de ne pas faire « perdre la face » à quiconque (préservation de l’harmonie et de bonnes relations interpersonnelles au détriment de l’efficacité et de la franchise : concept du ningen kankei).

Sources

  • Kansai International Airport Land Development Co. Ltd. http://www.kald.co.jp
  • Dynamiques urbaines – Habiter la mer. Étude réalisée par BOULANGER Claire et DESLANDES Tifenn, mai 2010.
  • Kansai, l’île-aéroport documentaire National Geographic diffusé en 2008 par France 5 (programme Superstructure)
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L'auteur
Tifenn Deslandes

Diplômée d'un master Urbanisme, Habitat et Coopération Internationale, spécialisée dans le développement durable et actuellement sur les routes d'Asie (Japon / Corée du Sud / Chine). Portfolio : http://tinyurl.com/bmg8qkn

4 Commentaires

  • 18 novembre 2013 à 21:43
    Yacine A.

    Si ils ont détruits quelques côtes, n’empêche qu’il faut voir qu’ils ont préservé toutes leurs montagnes, forêts, qu’ils construisent dense, maisons serrées, ruelles, par manque d’espace bien-sûr et peuvent du coup marcher ou prendre des transports en commun au lieu de leur voiture pour aller acheter du pain.
    En tout cas, ils mangent moins de viande que nous (il me semble ?) et ça c’est plus « développement durable » que nous.

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