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A Notre-Dame-des-Landes, un territoire insurrectionnel

A Notre-Dame-des-Landes, les histoires d’aéroports ne sont pas récentes. A vrai dire, cela fait bien quarante ans qu’on en parle. Depuis cinq ans, depuis que le projet d’aéroport ouest-atlantique sorti des rumeurs, s’est réellement matérialisé aux yeux d’une opinion publique attentive, la contestation  n’a cessé de croître, relevant au gré des jours, les manques et les faiblesses qui entouraient le dossier. Sur le site du futur aéroport, dont la livraison prévue à l’origine pour 2017 reste à ce jour incertaine, la Zone d’Aménagement Différé (ZAD), rebaptisée « Zone A Défendre » par les occupants, est devenue le théâtre d’une mobilisation d’un « nouveau genre ». Sur les terres agricoles, les bois et les zones humides voués à la destruction, se dessinent les contours d’un territoire de revendications au sein duquel, l’architecture des relations, du quotidien et l’importance de l’occupation de l’espace, dépassent la simple contestation du projet pour toucher une certaine forme d’idéal social, en rupture avec le monde tels que nous le connaissons.

« Urbanisme » et habitat insurrectionnels

Occuper. Occuper et habiter le plus longtemps possible. Sur la ZAD, ces verbes sont devenus des leitmotivs de la contestation, des réponses bien senties à un projet que l’on juge là bas et ailleurs, inutile et destructeur. Occuper, c’est une manière de montrer que l’on existe pour soi ou pour une cause (c’est le cas des occupations symboliques de lieux comme des locaux de bureaux vacants par l’association Jeudi Noir, où  d’un espace public par des contestataires en grève de la faim…), de toucher l’opinion des gens, mais aussi et surtout, comme c’est le cas à Notre-Dame-des-Landes, de maîtriser un territoire en sursis et voué, à terme, à disparaître ou à muter profondément.

Derrière l’occupation, il y a toute une parabole. Alors sur le site de la ZAD, on construit, on assemble des bâtiments en kit, on reconstruit, on fait de l’habitat insurrectionnel après le passage des pelleteuses et puis on occupe. Les cabanes au sol où perchées dans les arbres, les tentes, les maisons évacuées de leurs occupants et les corps de ferme deviennent ainsi, autant d’objets de luttes, autant de moyens aussi, de rendre ces luttes visibles.

Après la manifestation du mois de novembre, des cabanes ont été reconstruites, protégées par des tracteurs

En Chine, le symbole de ces « maisons clous » qui résistent à la politique urbaine est très fort et contribue largement à exposer au monde des situations qui, sans leurs présences, passeraient quasiment inaperçues. C’est un peu ce qui se passe à Notre-Dame-des-Landes, sauf qu’ici on occupe pour contester, alors qu’en Chine, on conteste pour continuer d’occuper.

Un exemple de « maison clou » récent sur le tracé d’une nouvelle route dans la province du Zhejiang (@AFP)

Mais bien plus qu’une symbolique, ou qu’une manière de prouver que l’on existe, occuper c’est aussi se défendre. Dans les cabanes reconstruites à la hâte, suite à la grande manifestation de novembre et le soutient de plusieurs milliers de contestataires, l’occupation a failli prendre un tournant juridique à la faveur de l’hiver. Habiter, domicilier, plus qu’occuper, aurait dans ce cadre pu devenir un moyen de défense légitime mais provisoire du site. Le tribunal de grande instance de Saint-Nazaire, en aura finalement décidé autrement.

Un territoire insurrectionnel préalable à une nouvelle société

A force d’occupation et de convergences idéologiques, la ZAD est devenue un territoire à part entière, une espèce d’enclave d’un nouveau genre au sein de laquelle, une communauté, un collectif s’est peu à peu structuré. De la simple idée d’occuper d’abord pour dire toute l’absurdité d’un tel projet et pour défendre, les zadistes (nom des occupants de la ZAD) ont finalement semé les graines d’un territoire insurrectionnel qui, au-delà de s’inscrire en faux du futur aéroport, fonde les bases d’une société et d’une organisation sociale, économique et alimentaire nouvelle.

Sur le site de 1655 hectares, près de 500 occupants (des fois plus, des fois moins), ont fait le pari, à la convergence des luttes tiers mondialistes, écologistes et anticapitalistes, de bâtir sur place un modèle de vie, à l’exact opposé de ce que le projet pourrait proposer au monde.

A la Vache Rit, un bâtiment agricole sert de QG aux zadistes. Comme une agora des temps modernes, on y vient pour partager, discuter des dernières nouvelles et de la communauté, on y vient aussi pour manger, se réchauffer, récupérer des vêtements propres et échanger des services. Dans le hangar, de là où vont et viennent les choses, un espace dédié aux premiers secours a été installé et des médecins assurent des permanences pour les occupants revenus des zones de conflits avec les forces de l’ordre.

Le centre névralgique de la ZAD, la Vache Rit, ou se joue pour partie l’organisation de l’occupation du site  (@Louis Maurice, Le Nouvel Obs)

Sur les principes de l’autosuffisance et de l’autogestion, la vie s’organise, et les interrelations se créées sans verticalité des rapports entre les êtres : « On fonctionne avec plusieurs commissions, mais il n’y a pas besoin que tout le monde soit au courant de tout. Personne ne rend de comptes à personne.» Pour Camille [l’autre nom des zadistes sur le site], la Châtaigneraie est un «lieu collectif d’organisation, plus large que de simples logements pour les zadistes». «On ne lutte pas seulement contre l’aéroport mais contre la logique capitaliste qui donne la priorité aux sociétés privées plutôt qu’aux terres agricoles.» (Libération ; 29 novembre 2012)

La carte, clé de la défense du territoire

Parce que la ZAD, c’est aussi et surtout ça, une zone à défendre, alors la maîtrise du territoire devient non seulement un préalable à l’expression d’une nouvelle organisation sociale, mais aussi et surtout, une stratégie de défense contre « l’oppresseur » qui regroupe toutes les figures ayant trait, de près ou de loin, à un aménageur, un politique, un journaliste ou un « casqué ».

A la Vache Rit, là où « tout se passe » (en dehors des locaux de l’Acipa -Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport-, non loin de la mairie de Notre Dame des Landes) et où s’organise le quotidien des zadistes, des cartes (ironiques pour certaines parce qu’elles évoquent le village gaulois d’Astérix face aux invasions romaines) rappellent à qui voudrait le voir qu’une société illégitime au regard de l’Etat de droit, se doit de se défendre. Comme on maîtrise l’espace par l’occupation, on le défend aussi par la carte.

Une illustration détournée de la bande dessinée d’Astérix du site de la ZAD

Sur les murs de l’Acipa, là où « l’on fait le point sur les barrages routiers des forces de l’ordre » (ibid.) tous les matins, une carte d’état major dessine les contours du site et localise les principales zones de « tensions » à partir desquelles on tente de s’organiser et de mettre en place la « tactique » de défense en dressant des barricades ou en occupant un espace plutôt qu’un autre. La ZAD est un territoire précaire, un territoire en guerre et les cartes sont aussi là pour le montrer

 

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